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seront à l’aise ; on les logera sans difficulté dans les combles. Quant aux recrues, elles ne manqueront pas. Ainsi qu’au moyen âge, les faibles, pour subsister, sont contraints de se recommander aux forts : « Monseigneur, dit le pauvre homme, comme mon père et mon grand-père, je suis serviteur de votre famille. » Ainsi qu’au moyen âge, le fort, pour se soutenir, est tenu d’enrégimenter autour de soi les faibles., « Voilà un habit et tant d’écus par mois, dit l’homme puissant, marche à côté de mon carrosse dans les entrées et les cérémonies. » Il y a ainsi à Rome cent petites ligues, et plus un homme a d’hommes sous sa main et à son service, plus il est fort.

À ce régime, on se ruine, et d’abord on emprunte. Là-dessus les grands font comme l’état : pour avoir de l’argent comptant, ils engagent leurs revenus et ne tiennent pas leurs engagemens. Sept ans durant, les créanciers des Farnèse ne reçoivent plus un écu ; comme parmi ces créanciers il y a des hôpitaux et des établissement charitables, le pape est obligé d’envoyer des soldats pour occuper la terre des Farnèse à Castro, D’ailleurs, en ce temps-là, des disputes d’étiquette provoquent des guerres véritables, et vous imaginez ce qu’on y dépense. Les Barberini, n’ayant pas reçu la visite d’Odoardo Farnèse, lui ôtent le droit d’exporter son blé ; là-dessus celui-ci envahit les états de l’église avec trois mille chevaux, disant qu’il n’attaque pas le pape, mais les neveux. Les neveux à leur tour lèvent une armée, et des deux côtés les soldats sont des mercenaires, Allemands ou Français ; le pays est pillé pendant ces cavalcades, et, la paix faite, chacun des deux partis trouve ses poches vides. Naturellement, pour les remplir, on pressure le peuple. Donna Olimpia, belle-sœur d’Innocent X, vend les emplois publics. Le frère d’Alexandre VI, chef de la justice au Borgo, vend la justice. Les impôts deviennent accablans. Un contemporain écrit que « les peuples, n’ayant plus ni deniers, ni linge, ni matelas, ni ustensiles de cuisine pour satisfaire aux exigences des commissaires, n’ont plus qu’une ressource pour payer les taxes, qui est de se vendre comme esclaves. » On cesse de travailler ; les campagnes se vident. Au siècle suivant, De Brosses écrit : « Le gouvernement est aussi mauvais qu’il est possible de s’en figurer un à plaisir. Imaginez ce que c’est qu’un peuple dont le tiers est de prêtres, le tiers de gens qui ne travaillent guère et le tiers de gens qui ne travaillent pas, où il n’y a ni agriculture, ni commerce, ni fabriques au milieu d’une campagne fertile et sur un fleuve navigable, où à chaque mutation on voit arriver des voleurs tout frais qui prennent la place de ceux qui n’ont plus besoin de prendre. »

En pareil pays, travailler est une duperie ; pourquoi me donnerais-je