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fonctionnaire âgé, dont la place est viagère ; sa famille est obligée de l’exploiter au plus vite. À chaque règne, les prodigalités deviennent plus grandes. Sous Grégoire XV, le cardinal Ludovisio reçoit pour deux cent mille écus de bénéfices ; son oncle, père du pape, est aussi bien traité. Le pape fonde des luoghi di monte pour huit cent mille écus qu’il leur donne. « Ce que possèdent les maisons Peretti, Aldo-brandini, Borghèse et Ludovisio, dit un contemporain, avec leurs principautés, leurs énormes revenus, tant de magnifiques bâtimens, d’ameublemens superbes, d’ornemens et d’agrémens extraordinaires, tout cela surpasse non-seulement la condition des seigneurs et des princes non souverains, mais encore les approche de celle des rois eux-mêmes. » Sous Urbain VIII, les Barberini reçoivent jusqu’à cent cinq millions d’écus ; les choses vont si loin que le pape a des scrupules et nomme une commission à ce sujet. En effet, pour fournir à ces libéralités, il fallait emprunter, et les finances étaient dans un triste état : à la fin du XVIe siècle, les intérêts de la dette absorbaient les trois quarts du revenu ; six ans plus tard, elle absorbait tout, excepté soixante-dix mille écus ; quelques années après, plusieurs branches du revenu ne suffisaient plus pour payer les assignations dont on les avait grevées. Néanmoins la commission déclara que le pape, étant prince, pouvait donner à qui bon lui semblait ses épargnes et ses excédans. Personne alors ne considérait le souverain comme un magistrat administrateur des deniers publics ; une pareille idée ne s’est établie en Europe qu’après Locke : l’état était une propriété dont on pouvait user et abuser. La commission déclara que le pape pouvait en conscience fonder pour sa famille un majorât de quatre-vingt mille écus. Quand, un peu plus tard, Alexandre VII voulut fermer la plaie, on lui prouva par bons et valables argumens qu’il avait tort. Il avait défendu à ses neveux l’entrée de Rome ; le recteur du collège des jésuites, Oliva, décida qu’il devait les appeler « sous peine de péché mortel. » Il y a plaisir à voir dans les contemporains[1] comment l’argent coule, déborde, descend à chaque pape dans un nouveau réservoir, et s’y étale magnifiquement en flots dorés, en nappes reluisantes, où les sequins, les écus, les ducats, font étinceler leurs précieuses effigies. À l’instant, comme aux environs d’un canal rafraîchissant, le lecteur voit pousser les plus belles fleurs aristocratiques, toutes les somptuosités que représentent les tableaux et les estampes, gentilshommes en habit de velours et de satin, estafiers chamarrés, suisses et laquais, majordomes ventrus, officiers de bouche, de table et d’écurie, une population de gens d’épée, domestiques nobles

  1. Cités par Ranke, Geschichte der Pœpste.