plates-bandes de fleurs sont enfermées dans de petits cadres de buis ; elles forment des dessins et ressemblent à des tapis bien bordés, régulièrement bariolés de couleurs nuancées. Cette villa est un débris, comme le squelette fossile d’une vie qui a duré deux siècles, et dont le principal plaisir consistait dans la conversation, dans la belle représentation, dans les habitudes de salon et d’antichambre. L’homme ne s’intéressait pas aux objets inanimés, il ne leur reconnaissait pas une âme et une beauté propre ; il en faisait un simple appendice de sa propre vie ; ils ne servaient que de fond au tableau, fond vague et d’importance moins qu’accessoire. Toute l’attention était occupée par ce tableau lui-même, c’est-à-dire par l’intrigue et le drame humain. Pour reporter quelque partie de cette attention sur les arbres, les eaux, le paysage, il fallait les humaniser, leur ôter leur forme et leur disposition native, leur air « sauvage, » l’apparence du désordre et du désert, leur donner autant que possible l’aspect d’un salon, d’une galerie à colonnades, d’une grande cour de palais. Les paysages du Poussin et de Claude Lorrain portent tous cette empreinte ; ce sont des architectures ; la campagne y est peinte pour des gens de cour qui veulent retrouver la cour dans leurs terres. Il est curieux à ce sujet de comparer l’île de Calypso dans Homère et dans Fénelon. Dans Homère, c’est une île véritable, sauvage et rocheuse, où nichent et crient les oiseaux de mer. Dans Fénelon, c’est une sorte de Marly « arrangé pour le plaisir des yeux. » Aussi les jardins anglais, tels qu’on les importe chez nous à présent, indiquent l’avènement d’une autre race, la domination d’un autre goût, le règne d’une autre littérature, l’ascendant d’un autre esprit, plus compréhensif, plus solitaire, plus aisément fatigué, plus tourné vers les choses du dedans.
Une seconde remarque, c’est que notre grand seigneur est antiquaire. Outre deux galeries et un portique circulaire plein de statues antiques, il y a ici des morceaux de sculpture de toute sorte répandus dans tout le jardin, cariatides, torses, bustes colossaux, dieux, colonnes surmontées de bustes, urnes, lions, grands vases, socles, débris innombrables souvent brisés ou mutilés. Même, afin de tout mettre à profit, on a incrusté dans un mur quantité de restes, informes. Quelques-unes de ces sculptures, une cariatide, un masque d’Antinoüs, des statues d’empereurs, sont belles ; mais la plupart sont un ramassis singulier. Beaucoup appartenaient certainement à de petits municipes, à des maisons particulières ; déjà chez les anciens c’étaient des œuvres de pacotille, ce qui subsisterait chez nous si après un long enfouissement on retrouvait des statues d’escalier et des bustes d’hôtel de ville ; ce sont des documens