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deve-, il en foisonne. Le parti modéré ne se composera plus bientôt que de présidens du conseil, ce qui ne prouve pas précisément sa puissance.

Pendant quelques jours, il y a eu des collections de ministres tout prêts à revêtir l’uniforme et attendant l’heure de se rendre au palais pour prêter serment, une heure qui n’est jamais venue, et au milieu de tout cela se reproduisait dans le public cette scène toujours curieuse à Madrid : — y a-t-il un ministère ? où en est la crise ? qui s’en va et qui arrive ? — Parmi les employés, sans cesse menacés à chaque changement de cabinet, c’est à qui s’informera et cherchera d’où vient le vent. Tout le monde est affairé, et personne ne fait rien. Par malheur, les crises ministérielles ont quelquefois des effets plus sérieux, et c’est ce qu’on a vu récemment à Madrid. Tout s’est subitement arrêté. Les négociations commerciales se sont trouvées paralysées. Tous les jours, il y avait foule à la Banque pour échanger les billets contre de l’argent, et dans le monde du négoce on refusait le papier de la Banque pour n’avoir pas à faire les appoints en numéraire. Une chose à remarquer du reste dans cette crise, c’est l’attitude parfaitement digne et réservée de l’ancien cabinet : il s’est tenu à l’écart de tout et n’a cherché à rien empêcher. L’un de ses membres, le général Lersundi, a été plusieurs fois appelé, consulté par la reine, qui connaît son dévouement, et, sans accepter aucune mission officielle, il a su, dit-on, allier à l’inébranlable fidélité du soldat une respectueuse indépendance de langage.

Enfin, de guerre lasse, après tous les essais et toutes les combinaisons qui ont rempli ces quelques jours, c’est le cabinet Narvaez tout entier, moins M. Llorente, qui est rentré au pouvoir ou plutôt qui y est resté, puisque sa démission n’avait point encore été acceptée, et de fait c’était encore le meilleur dénoûment, le seul possible peut-être. Pouvait-on s’adresser aux progressistes ? Ce n’est pas le programme du parti progressiste qui est fort à redouter, c’est sa faiblesse, son incohérence ; il est au moins aussi divisé que le parti modéré, sans avoir l’esprit politique et les habitudes de gouvernement que gardent après tout les conservateurs : imaginez de faire vivre ensemble le duc de la Victoire, M. Olozaga et le général Prim, ou prenez une de ces nuances sans l’autre ! La reine pouvait-elle se. tourner encore une fois vers le général O’Donnell ? Mais c’est le duc de Tetuan qui a commencé l’affaire de Saint-Domingue, qui a laissé les finances espagnoles dans le piteux état où elles sont, et qui de plus, d’après une opinion générale, est l’allié de toutes les influences cléricales dont on se plaint. On pouvait encore moins s’adresser à la fraction absolutiste du parti modéré ; c’eût été peut-être jouer trop gros jeu. Quant à toutes ces nuances intermédiaires et flottantes successivement essayées, c’était évidemment ne rien faire. Il était temps d’ailleurs de prendre un parti, puisque c’était le 22 décembre que devaient se réunir les chambres, qui ont été effectivement ouvertes ce jour-là.

Voilà donc le ministère Narvaez ramené au pouvoir par la bourrasque