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demande de capitaux de roulement faite par l’industrie et le commerce, qui ne fixent pas le capital, qui le transforment par la diversité et l’échange des produits destinés à la consommation, est également, sauf le cas extraordinaire de la disette et du renchérissement du prix, renfermée dans des limites aisées à prévoir ; mais ce qui est indéfini, ce qui est illimité, ce sont les projets de l’esprit d’entreprise travaillant pour l’avenir à des immobilisations toujours nouvelles de capitaux. Les besoins et les influences qui travaillent sans relâche à l’immobilisation des capitaux font sur le marché une concurrence constante et quelquefois absorbante aux affaires, qui ont besoin de fonds de roulement. N’est-ce pas ce que nous voyons depuis longtemps chaque jour : des emprunts d’état perpétuels ou temporaires, appelant l’argent en lui offrant un intérêt de 7, de 8, de 9, de 12, de 14 pour 100 ; des entreprises présentant leurs demandes de crédit sous la forme populaire des obligations et offrant aux capitaux un loyer de 6, de 7, de 8 pour 100 ; des spéculations qui, comptant pour peu de chose les frais de crédit des capitaux qu’elles empruntent dans les bénéfices qu’elles se promettent d’une grande hausse rapide, consentent à payer des reports sur le pied de 6, 8, 10 pour 100 ? Quand de tous côtés on surenchérit, par une vaste et incessante concurrence faite aux capitaux de roulement, le loyer des capitaux, comment peut-on venir réclamer l’intérêt fixe et bas ? Dans cette concurrence, la Banque de France représente le parti du fonds de roulement nécessaire aux opérations ordinaires et régulières du commerce et de l’industrie ; M. Pereire et son école représentent le parti des entreprises qui se sont engagées en d’énormes immobilisations de capitaux, et qui, lorsqu’elles ont épuisé la ressource des capitaux destinés aux placemens fixes, viennent disputer au commerce les fonds de roulement disponibles, — en pratique avec l’appât des gros intérêts, en théorie avec la revendication bruyante de l’intérêt fixe et bas, avec la fantasmagorie de projets de banques dont les billets ne seraient que la menue monnaie de titres d’emprunts étrangers, d’actions ou d’obligations, invendus et invendables.

Quant à nous, depuis bien des années, nous avons appelé l’attention du gouvernement et du public sur la gravité, au point de vue financier et politique, de cette tendance manifestée quelquefois auprès du pouvoir et par une certaine école de promoteurs d’entreprises dont M. Isaac Pereire vient de se constituer l’organe, tendance qui peut se définir en ces termes : absorption par les dépenses qui fixent le capital sur une trop vaste échelle et avec trop d’impatience d’une portion des fonds de roulement nécessaires aux opérations régulières du commerce et de l’industrie. C’est quand cette tendance touche à l’excès et à l’abus que l’escompte se relève, comme obéissant à une loi mécanique, dans les banques, annonçant à tous que l’équilibre est momentanément rompu. L’effet de l’élévation du loyer des capitaux est ordinairement rapide ; mais il arrive toujours que ce sont