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vie, en sait trouver les élémens à la place où les artistes créateurs les ont mis, pourquoi ne refleurirait-il point aujourd’hui ? Pourquoi n’aurions-nous pas des musiciens comme il y eut jadis des statuaires du césarisme, des esprits savans, polis, académiques, qui s’en iraient demander aux Haydn, aux Gluck, aux Mozart, le secret de leur inspiration, à l’instar de ces sculpteurs si richement dotés de la Rome impériale, qui ne se lassaient pas d’interroger les chefs-d’œuvre des anciens Grecs et d’en reproduire les formes selon le goût du jour, multipliant partout les accessoires, caressant la surcharge ?

Sans trop vouloir presser l’analogie, j’estime qu’on pourrait trouver chez M. Gounod plus d’un rapport très frappant avec ces hommes de bonne volonté dont je parle. Lui aussi s’entend à composer dans le plus beau style, quoique ce style, il ne l’ait point créé. Si habilement, si curieusement il l’a étudié chez les maîtres, qu’il le manie aujourd’hui avec un naturel plein de charme et d’autorité. Fugue et contre-point, chevaux de bataille du pédantisme, épouvantails des esprits frivoles, que ne gagne-t-on pas à vos exercices, qui sont pour les organes de la pensée ce qu’est la gymnastique pour le développement musculaire ? A cet effort continu, l’esprit s’affermit, s’assouplit, le sentiment apprend à mesurer son expression, l’inspiration à gouverner son vol. N’exagérons rien cependant, et n’allons pas croire avec quelques pédans plus ou moins honnêtes que le contre-point, qui ne saurait être qu’un moyen, doive passer pour le but suprême de l’art. Haendel a écrit des oratorios entiers où pas une fugue ne se montre, mais qu’un musicien possédant à un moindre degré ce grand art de la tablature n’aurait jamais pu composer. Dans la petite messe solennelle de Rossini exécutée l’an passé à l’hôtel Pillet-Will, la fugue du Gloria est certes un morceau très fort, aux termes de l’école, et cependant cette haute science chez Rossini n’a surpris personne, car si les juxtapositions, imitations, transpositions et autres formules à l’usage des réalistes et nominaux du Conservatoire ne firent jamais le régal ordinaire du grand Italien, il suffisait d’avoir entendu Guillaume Tell pour se dire qu’à un homme capable d’écrire cet orchestre, aucun secret de la science musicale ne pouvait être resté étranger.

M. Gounod a la science de l’instrumentation ; mieux encore, il en a le sens, car l’instrumentation ne s’apprend pas. On apprend à connaître le caractère, la portée, la technique des instrumens, mais nul ne peut en enseigner l’emploi ; c’est affaire d’instinct, de révélation, de génie. Lorsque j’entends le Faust de M. Gounod, j’éprouve dès les premières mesures une impression tout agréable ; mon esprit, dès l’abord, trouve son compte à cette période correcte, bien ordonnée, où ce qui précède est toujours en harmonie avec ce qui va suivre ; mes oreilles se délectent à cette sonorité toujours maîtresse d’elle-même, qui, soit qu’elle se livre ou se contienne, conserve sa vigueur et sa plénitude. Je ne me demande pas si ces modulations,