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les comprend, et n’imite pas ce fabuliste qui se défendait dans sa préface d’avoir jamais rien lu d’un certain La Fontaine dont on venait de lui signaler les ouvrages au moment de mettre sous presse. L’auteur des partitions du Médecin malgré lui et de Faust sait ce que vaut l’étude, ce qu’elle coûte et aussi ce qu’elle rapporte. Ce n’est pas lui qu’on surprendrait allant chez le voisin s’informer de ce qui se passait dans son art il y a soixante ans. Non content de parcourir dans tous les sens le vaste empire des connaissances musicales, nous l’avons vu choisir tantôt une province, tantôt une autre, pour y résider un laps de temps, s’y installer, s’y fixer, élisant un jour domicile sur les domaines du rationaliste Bach, et le lendemain transportant ses pénates en terre pontificale pour y vénérer tout à son aise les Palestrina et les Allegri. Dire de M. Gounod qu’il possède à fond l’histoire de son art n’est point assez, il pourrait l’écrire, sans compter qu’à des connaissances spécifiques si étendues, d’autres plus générales viennent se joindre, et que le musicien se double ici d’un critique et d’un philosophe. Cette faculté de se procurer par le travail un certain capital intellectuel qu’on fait valoir est un signe caractéristique de l’époque où nous vivons. On spécule en peinture, en musique, sur des combinaisons d’idées néo-chrétiennes, d’effets renouvelés du plus vieux style, comme à la Bourse on spéculerait sur les fonds publics.

Qui n’a remarqué à l’une des dernières expositions ces tableaux représentant divers épisodes du poème de Faust, et dans lesquels l’imitation archaïque était poussée si loin que vous auriez cru voir je ne sais quelles copies de Lucas Kranach faites sur commande ? Au premier abord, vous vous seriez volontiers écrié comme Louis XIV : « Qu’on m’ôte de devant les yeux ces magots, » puis vous finissiez, en y regardant de plus près, par trouver cela curieux, réussi, par vous intéresser, sinon à l’œuvre d’art, du moins à l’habile produit d’une assez amusante industrie. J’en dirai autant de tous ces pastiches musicaux ou littéraires, de tous ces raffinemens de virtuosité qui sont le signe très particulier des périodes de décadence. L’art qui monte vers l’épanouissement n’a pas de ces recherches, de ces précieusetés calculées, au contraire il est parfois incorrect, maladroit ; mais sous ces incorrections naïves, sous ces maladresses, on sent la vie, dont les forces latentes, déjà en travail de liberté plus complète, vous attirent, vous parlent. Dans l’art qui décline, c’est surtout cette virtualité qui manque, et tous les agrémens extérieurs, tout le luxe de la mise en œuvre la plus habilement ornementée n’en sauraient déguiser l’absence. On voit alors souvent apparaître d’excellens esprits, d’ingénieux éclectiques qui, d’avance instruits des bons endroits, vont se ravitailler dans le passé pour les besoins du présent.

Ainsi la sculpture fit à Rome sous l’ère des empereurs : je dis la sculpture, attendu qu’à cette bienheureuse époque de l’humanité la musique n’existait pas. Cet art qui n’invente rien, mais façonne, qui, sans pouvoir produire la