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Stettin, Berlin, Magdebourg, Stuttgart, Cologne, et les villes du nord de l’Italie en relations habituelles avec l’Allemagne, Turin, Milan, Venise, eurent aussi à traverser de rudes épreuves. Partout éclataient les faillites, suivies de pertes, de ruines et de suicides. Les conséquences de l’ébranlement des grands marchés de Londres et de Hambourg se firent sentir jusque dans l’autre hémisphère. Dans l’Amérique du Sud, à Rio de Janeiro, à Buenos-Ayres, à Valparaiso, à Guayaquil, et jusque dans les îles de la Sonde, à Batavia et à Singapore, beaucoup de maisons succombèrent avec des passifs plus ou moins considérables.

La crise de 1857 fut surtout remarquable par sa généralité, car il n’y eut pour ainsi dire aucune partie du globe qui y échappa. Elle montre combien le lien commercial qui réunit tous les peuples est devenu intime par suite de la facilité des échanges et des communications, par suite aussi de l’extension du crédit, qui ne craint plus de s’aventurer jusqu’aux antipodes. Elle prouve manifestement que désormais, pour le bien et pour le mal, dans la prospérité et dans l’adversité, les nations deviennent réellement solidaires. Saint Paul, dans une sublime image, a dit que tous les hommes ne forment qu’un corps, et les philanthropes se sont toujours plu à parler de la grande famille humaine. Ces expressions cessent d’être, dans l’ordre économique du moins, de pures métaphores ; elles commencent à traduire tout simplement la réalité. Qu’à l’autre bout du monde un engorgement se produise pour la circulation, que de l’autre côté de l’Atlantique la guerre civile éclate, et les peuples européens ne tardent pas à ressentir le contre-coup de ces accidens locaux. Ils s’en aperçoivent à des signes que nul ne peut méconnaître et dont tout le monde pâtit : la rareté de l’argent et la baisse de toutes les valeurs. Dans l’exposé que nous venons de faire des principales crises, nous n’avons peut-être pas évité une certaine monotonie ; mais cette monotonie même porte une instruction précieuse avec elle, car le retour constant des mêmes circonstances prouve que nous sommes ici en présence d’un de ces enchaînemens de cause à effet que l’on a appelés lois économiques, lois bien différentes toutefois des lois physiques, attendu qu’étant le résultat de faits humains, elles restent soumises au libre arbitre de l’homme, qui peut les modifier, les corriger par plus de science ou plus de sagesse. Il reste à découvrir maintenant la loi qu’on croit entrevoir sous les incidens divers de l’histoire des crises ; mais ce côté du sujet mérite d’être étudié à part.


EMILE DE LAVELEYE.