de la vive intelligence de ses citoyens, la création des capitaux s’opère avec une rapidité qui tient du prodige. Le travail est deux fois plus productif qu’en Europe, et nul n’est oisif. L’Américain est le premier wealth maker (créateur de richesse) du monde. La vie semble n’avoir qu’un but à ses yeux, poursuivre la fortune, et nul ne sait mieux que lui s’aider du secours de la machine qui décuple les forces de l’homme. Lorsqu’on étudie les chiffres qui peuvent servir à mesurer le progrès économique des États-Unis à cette époque, on s’étonne de la puissance qu’ils révèlent, et l’on comprend mieux les gigantesques sacrifices d’argent que la fédération parvient à faire maintenant pour la guerre. En 1856, l’Union avait déjà construit 24,000 milles de chemins de fer, et 50,000 de télégraphes, trois fois autant que l’Angleterre et six fois autant que la France. Le tonnage de sa marine marchande avait à peu près atteint celui de la Grande-Bretagne. Le congrès avait concédé, dans la seule année 1856, 40 millions d’acres, c’est-à-dire un territoire grand comme le tiers de la France. Le mouvement dans les ports et sur les chemins de fer s’était accru d’un tiers. Le nombre des banques, de 700 en 1846, s’était élevé en 1856 à 1,416, avec un capital de 376 millions de dollars. La dette de l’état avait été réduite à la somme insignifiante de 35 millions de dollars, et le produit des impôts laissait un excédant disponible, Ainsi, tandis que les nations européennes dévoraient une partie de leurs épargnes en arméniens énormes ou sur les champs de bataille, l’heureuse Amérique, jouissant d’une paix profonde, consacrait les siennes à féconder toutes les branches de l’activité nationale, l’agriculture et l’industrie, le commerce et la navigation.
En ces temps fortunés, le monde civilisé présentait donc l’image d’une prospérité sans exemple. L’univers était devenu semblable à une ruche ou plutôt à un immense atelier, et chaque peuple s’appliquait à livrer à l’échange général le produit que ses aptitudes ou son climat lui permettaient de créer avec le plus d’avantage. La vapeur, entraînant le navire sur les mers et le wagon sur les voies ferrées, établissait entre tous les marchés des communications journalières. L’or, qui coulait à flots, et les instrumens de crédit, bien plus puissans que l’or, donnaient à la circulation des richesses des facilités et par suite une rapidité extrêmes. Le transport des marchandises, la masse des produits, le total de la consommation, tous les élémens de la fortune des nations se comptaient par des chiffres si énormes, que, comme ceux qu’emploie l’astronomie, ils stupéfient l’esprit, qui ne peut plus les saisir. Cette vie exubérante, cette fièvre de production, étaient certes un beau spectacle pour ceux qui croient que le salut des sociétés est dans l’accumulation des capitaux.