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des promenades, pour se délasser de la représentation, et, pour tout résumer en deux particularités où se concentre un moment l’activité de cette reine, elle se livrait à ces goûts d’intimité et de liberté dont la vie à Trianon est restée la plus curieuse expression, à ces entraînemens d’une nature affectueuse dont la faveur de Mme de Polignac est le dernier mot.

Un jour de 1774, Louis XVI, peut-être pour consoler la reine de quelque froissement, lui disait : « Vous aimez les fleurs, j’ai un bouquet à vous offrir ; c’est le petit Trianon. » Et Marie-Antoinette se mettait aussitôt à l’œuvre pour improviser un petit domaine rustique sur le modèle d’une idylle, avec une rivière, une île, un pont, des arbres rares plantés par M. de Jussieu, un moulin, une laiterie, sans compter une salle de comédie au château. Ce petit palais était gracieusement orné. « Ici, je suis moi ! » disait Marie-Antoinette, toute rayonnante de son œuvre, qui était pourtant l’œuvre d’une fée gracieuse plus que d’une reine. Le roi allait quelquefois à Trianon à pied et sans gardes, un monde choisi s’y réunissait, et c’étaient mille divertissemens : rêve d’une femme qui se donnait l’illusion de la campagne et de la vie familière dans un petit royaume d’opéra ! En même temps, dans cette société qui l’entourait, sa nature expansive et aimante s’essayait à former de ces liens d’intimité et de confiance qui dans les cours s’appellent des faveurs pour les préférés d’une reine. Elle s’attacha d’abord à Mme de Lamballe, princesse de Carignan, la jeune bru du vertueux duc de Penthièvre, veuve à dix-huit ans, belle de sa physionomie tranquille et douce, sous l’opulence de sa chevelure blonde, aux tons dorés et italiens ; Marie-Antoinette voulut faire revivre pour elle la charge de surintendante ; mais la princesse de Lamballe était plus qu’une favorite, c’était une amie simple, ne demandant rien, dévouée, quelquefois un peu délaissée, toujours retrouvée, et fidèle jusqu’à la dernière heure.

La favorite, ce fut la comtesse Jules de Polignac, que sa belle-sœur, Diane de Polignac, dame de la comtesse d’Artois, amenait parfois avec elle à Versailles. Marie-Antoinette se prit de passion pour cette jeune femme jolie et piquante, d’une négligence pleine de charme, d’une indolence provoquante, qui semblait fuir la faveur comme d’autres la recherchent et faire grâce en se laissant aimer. Dès lors les Polignac, qui n’avaient que peu de fortune, furent comblés. Le mari, le comte Jules, eut la survivance de premier écuyer de la reine en attendant d’avoir la direction des postes et des haras. Mme de Polignac eut une pension en attendant de devenir gouvernante des enfans de France. La reine leur fit une maison, elle s’invitait chez eux, elle donnait des bals chez eux. Le monde des Polignac et le monde de Trianon ne faisaient qu’un. On