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est au-dessus de tout. Le jeune homme, vêtu de longs vêtemens blancs, au visage d’ange, monte comme une apparition méditative. L’autre, aux cheveux bouclés, qui se penche sur la figure de géométrie, et ses trois compagnons à côté de lui, sont des êtres divins. C’est un rêve dans l’azur. Ils peuvent, comme les figures entrevues dans l’extase ou dans le rêve, persister indéfiniment dans la même attitude. Le temps ne s’écoule pas pour eux. Le vieillard debout en manteau rouge, son voisin qui regarde, le jeune homme qui écrit, pourront demeurer ainsi toujours. Ils sont bien, leur être est accompli ; ils sont dans une de ces minutes dont parle le Faust de Goethe, où l’on dit au moment : « Arrête-toi, tu es parfait. » Leur repos, c’est le bonheur fixe ; quand on a atteint un certain état d’accomplissement, il n’en faut plus bouger.

La vie humaine, celle du corps ou de l’âme, est infinie et énormément multiple ; mais il n’y a que certaines portions, certains instans qui, comme une rose entre cent mille roses, méritent de subsister, et telles sont ces attitudes. La plénitude de la force et l’harmonie de toute la structure humaine s’y manifestent sans disparate ni effort. Cela suffit ; on ne souhaite rien d’autre. Deux hommes adultes penchés au-dessous d’un calme adolescent debout font une belle forme, et il est doux de s’oublier devant elle. L’expression des têtes n’y contredit pas ; trop pensives, trop semblables au réel, trop brillamment peintes, elles appelleraient la passion ou l’élan ; dans cette sérénité, sous cette teinte sombre, elles s’accordent avec la paisible architecture des poses.

De tous les artistes que je connaisse, il n’y en a aucun qui lui ressemble plus que Spenser. À la première lecture, beaucoup de gens le trouvent compassé ou terne ; rien chez lui ne semble réel ; puis on monte avec lui dans la lumière, et ses personnages, qui ne peuvent pas exister, sont divins.

La Farnésine.

On traverse en fiacre une quantité de rues tortueuses et tristes ; on passe sur le pont San-Sisto, et l’on voit des deux côtés du fleuve un pêle-mêle de bicoques, et je ne sais quel long cloaque d’arcades suintantes, au-delà un amas de bouges ; tout cela garde encore l’aspect du moyen âge. Au bout d’un instant, vous voilà dans un palais de la renaissance, devant les Psychés de Raphaël.

Elles font la décoration d’une grande salle à manger lambrissée de marbres, dont le plafond se courbe encadré dans une guirlande de fleurs et de fruits. Au-dessus de chaque fenêtre, la guirlande s’évase pour recevoir les vigoureux corps de Jupiter, de Vénus ou de Psyché, et l’assemblée des dieux couvre la voûte. En levant les yeux, au-dessus de la table chargée de vaisselle d’or et de poissons