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qui semble apprêté est beau comme un accord ample et juste ; je n’ai qu’à le prendre en lui-même, abstraction faite du sujet et de la vraisemblance, et mes yeux en jouiront comme mon oreille jouit d’un chant plein et doux.

Tout ce peuple de figures parle maintenant, et ne parle que trop haut. Il y en a trop, on ne peut plus décrire. Je te dirai seulement ce qui m’est resté le plus vif dans le souvenir : d’abord les loges du Vatican, et dans les loges ce grand lutteur qu’il appelle Dieu le père, et qui d’un bond, étalant ses membres, franchit les ténèbres ; ce dos cambré d’Eve cueillant la pomme, sa tête charmante, les vigoureux muscles de ce jeune corps tordu sur ses hanches, tous ces personnages d’une structure si forte et d’un mouvement si libre ; ensuite les cariatides blanches de la salle d’Héliodore, simples figures en grisaille pâle, véritables déesses d’une grandeur et d’une simplicité sublimes, parentes des antiques, avec une expression de douceur et de bonté que n’ont point les Junons et les Minerves, exemptes de pensée comme leurs sœurs grecques, occupées dans leur sérénité inaltérable à tourner la tête ou à lever un bras. C’est dans ces sortes de personnages idéaux et allégoriques qu’il triomphe. Sur le plafond, la Philosophie, si forte et si sérieuse, la Jurisprudence, vierge austère qui, les yeux baissés, lève une épée, surtout la Poésie, surtout les trois déesses assises en face du Parnasse, et qui, se tournant à demi, forment avec trois enfans un groupe digne du vieil olympe, sont des figures incomparables et au-dessus de l’homme. Comme les anciens, il supprime l’accident, l’expression fugitive de la physionomie humaine, toutes les particularités qui annoncent un être ballotté et froissé par les hasards et le combat de la vie. Ses personnages sont affranchis des lois de la nature ; ils n’ont jamais souffert, ils ne peuvent pas être troublés ; leurs attitudes si calmes sont celles des statues. On n’oserait leur parler, on est pénétré de respect, et cependant ce respect est mêlé de tendresse, car on aperçoit sous leur gravité un fonds de bonté et de sensibilité féminines. Raphaël leur donne son âme ; même parfois, par exemple dans les Muses du Parnasse, plusieurs jeunes femmes, entré autres celle dont on voit l’épaule nue, ont une suavité pénétrante, une douceur presque moderne, Il les a aimées.

Tout cela éclate plus visiblement encore dans l’École d’Athènes. Ces groupes sur cet escalier, au-dessous et autour des deux philosophes, n’ont jamais existé ni pu exister, et c’est justement pour cela qu’ils sont si beaux. La scène est dans un monde supérieur, que les yeux des hommes n’ont jamais vu, tout entier sorti de l’esprit de l’artiste. Tous ces personnages sont de la même famille que les déesses du plafond. Il faut rester devant eux une après-midi ; une fois qu’on les sent marcher, on éprouve qu’une pareille scène