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vilenies du ménage. Toute cette bordure ressemble à la jupe, fripée d’une sorcière, à je ne sais quel reste de torchon infect et troué. Le Tibre roule jaune, fangeux, entre ce désert et cette pourriture. Pourtant l’intérêt et le pittoresque ne font jamais défaut. Çà et là, un reste de vieille tour plonge à pic dans le fleuve ; une place au-dessous d’une église étage ses escaliers jusque dans l’eau, et des bateaux y abordent. On dirait de ces vieilles estampes que l’on trouve sur nos quais, à demi effacées par la pluie, déchirées, crasseuses, mais où l’on aperçoit un morceau grandiose de fabrique ou de paysage à côté d’un trou entre deux pâtés de boue.

Le Panthéon, les Thermes de Caracalla.

On resterait ici trois ou quatre ans qu’on y pourrait toujours apprendre. C’est le plus grand musée du monde ; tous les siècles y ont laissé quelque chose ; qu’est-ce que j’en puis voir en un mois ? Un homme qui aurait le temps d’étudier et saurait regarder trouverait ici dans une colonne, un tombeau, un arc de triomphe, un aqueduc, surtout dans ce palais des césars que l’on déterre, les moyens de recomposer et de redresser devant ses yeux la Rome impériale. J’en visite trois ou quatre restes, et je tâche de deviner sur ces fragmens.

Le Panthéon d’Agrippa est sur une place sale et baroque, où de misérables fiacres stationnent, épiant les étrangers ; des échoppes de légumes jettent leurs épluchures sur le pavé noirâtre, et des troupes de paysans en grandes guêtres, une peau de mouton sur les épaules, attendent et regardent, immobiles, les yeux brillans. Le pauvre temple lui-même a souffert tout ce que peut souffrir un édifice ; des bâtimens modernes se sont collés contre son dos et contre ses côtés ; on l’a flanqué de deux clochers ridicules ; on lui a volé ses poutres et ses clous de bronze pour en faire les colonnes du baldaquin de Saint-Pierre ; longtemps des masures incrustées entre les colonnes ont obstrué son portique ; la terre l’avait tellement encombré que, pour arriver dans l’intérieur, au lieu de monter on descendait. Encore aujourd’hui, tout réparé qu’il est, sous ses teintes noirâtres, avec ses fentes, ses mutilations et l’inscription demi-effacée de son architrave, il a l’air d’un estropié et d’un malade. En dépit de tout cela, l’entrée est grandiosement pompeuse ; les huit énormes colonnes corinthiennes du portique, les pilastres massifs, imposans, les poutres de l’entablement, les portes de bronze, annoncent une magnificence de conquérans et de dominateurs. Notre Panthéon, mis en regard, semble étriqué, et quand au bout d’un quart d’heure on est parvenu à faire abstraction des dégradations et des moisissures, quand on a séparé le temple de ses alentours modernes et vieillots, quand on imagine l’édifice blanc, éclatant, avec la nouveauté