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saillantes, des tendons du cou, d’une jambe raidie depuis le talon jusqu’aux reins. On a dit qu’Homère savait l’anatomie, parce qu’il décrit exactement les blessures, la clavicule, l’os iliaque ; il savait simplement de l’homme, de son ventre, de son thorax, ce que tout le monde en savait alors. Le peu que j’ai appris à l’école pratique m’éclaircit les trois quarts des choses ; impossible aujourd’hui de comprendre la pensée de ces artistes, si l’on n’a pas touché soi-même l’articulation du cou et des membres, si l’on n’a pas acquis au préalable l’idée des deux parties maîtresses du corps, le buste mobile sur le bassin, si l’on ne connaît pas le mécanisme qui lie tous les muscles, de la plante du pied au mollet, à la cuisse, au creux des lombes, pour dresser un homme et le tenir debout.

Rien de tout cela n’est possible sans le costume antique. Voyez Diane regardant Endymion. La robe tombe jusqu’aux pieds ; elle a, outre cela, l’espèce de seconde robe ordinaire ; mais le pied est nu. Dès que le pied est chaussé, comme celui des jolies demoiselles qui se promènent ici un livre à la main, vous ne voyez plus le corps naturel, mais une machine artificielle. Ce qui vous apparaît, ce n’est plus l’être humain, mais une cuirasse articulée, excellente contre les intempéries, et agréablement lustrée pour briller dans une chambre. La femme, par la culture et le vêtement moderne, est devenue une sorte de scarabée sanglé à la taille, raide dans son corselet luisant, monté sur des pattes sèches et vernissées, chargé d’appendices et d’enveloppes brillantes ; les rubans, les chapeaux, la crinoline, ont l’agitation, le chatoiement des antennes et de la double paire d’ailes. Très souvent, comme chez un insecte, la figure se réduit aux yeux, à l’expression, le corps entier a l’activité remuante d’un bourdon ; la meilleure partie de la beauté consiste dans la vivacité nerveuse, surtout dans l’arrangement coquet de l’enveloppe lustrée, dans l’appareil compliqué et diamanté qui bruit à l’entour. Au contraire, ici le pied nu montre tout de suite que la longue tunique n’est qu’un voile sans importance. La ceinture est une simple corde nouée par le premier nœud venu au-dessous du sein ; les deux seins soulèvent l’étoffe ; la tunique, agrafée sur l’épaule, n’est pas large à cet endroit de plus de deux doigts, en sorte qu’on sent l’épaule se continuer dans le bras, qui est ample, fort, et ne ressemble pas à ces pattes filamenteuses qui pendent aujourd’hui des deux côtés d’un corset. Dès qu’il y a corset, il n’y a plus de corps naturel ; au contraire, tout ce vêtement peut se mettre et se défaire en un instant ; ce n’est qu’un linge qu’on a pris et dont on s’enveloppe.

Tout cela est dans le Braccio-Nuovo, et en outre quantité d’autres statues, celles d’Auguste, de Tibère ; à côté de chaque grand morceau est un buste d’empereur. On ne peut tout noter ; je remarque