Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personne ici, je pense, ne pourrait montrer dans Athènes deux autres maisons dont l’alliance puisse produire quelqu’un de plus beau et de meilleur que celles dont tu es sorti. En effet, votre famille paternelle, celle de Critias, fils de Dropide, a été célébrée par Anacréon, Solon, et par beaucoup d’autres poètes, comme excellente en beauté, en vertu, et dans tous les biens où l’on met le bonheur. Et de même celle de ta mère, car personne ne parut plus beau ni plus grand que l’on oncle Pyrilampe toutes les fois qu’on l’envoyait en ambassade auprès du grand roi, ou auprès de quelque autre sur le continent. Cette autre maison ne le cède en rien à la première. Étant né de tels parens, il est naturel que tu sois en tout le premier. »


Avec cette scène dans l’esprit, on peut errer dans les grandes salles, et voir agir et penser les statues, le Discobole par exemple, et le jeune Athlète, copié, dit-on, d’après Lysippe. Celui-ci vient de courir, il a dans la main un numéro par lequel on voit qu’il est arrivé le cinquième, et il se frotte avec le strigile. La tête est petite, l’intelligence ne va pas au-delà de l’exercice corporel qu’il vient de faire ; cette gloire et cette occupation lui suffisent. En effet, dans les plus beaux temps de la Grèce, les triomphes gymnastiques paraissaient si importans que beaucoup de jeunes gens s’y préparaient pendant des années, chez des maîtres et avec un régime particulier, comme aujourd’hui les chevaux de course chez les entraîneurs. Il a l’air un peu las, et raclé avec son strigile la sueur et la poussière collée sur sa peau. Qu’on me pardonne ce mot, il s’étrille ; le mot est choquant en français ; il ne l’est pas pour des Grecs qui ne séparent point comme nous la vie humaine de la vie animale. Homère, énumérant les guerriers qui sont devant Troie, met sans y penser sur le même rang les chevaux et les hommes. « Ce sont là, dit-il, les chefs et les rois des Grecs. Dis-moi, muse, quels étaient les meilleurs parmi les hommes et les meilleurs parmi les chevaux ? »

Mais d’autre part, considérez quelles chairs une pareille vie devait faire, quelle solidité de tissu et de ton l’huile, la poussière, le soleil, le mouvement, la sueur, le strigile, devaient donner aux muscles ! Dans les Rivaux de Platon, le jeune homme adonné à la gymnastique raille amèrement son adversaire, qui s’est fait lettré et liseur. « Il n’y a que l’exercice qui entretienne le corps. Vois Socrate, ce pauvre homme qui ne dort pas, qui ne mange pas, qui a le cou raide et grêle à force de se tracasser l’esprit. » Et tout le monde se met à rire.

Le corps de celui-ci est parfaitement beau, presque réel, car ce s’est pas un dieu ni un héros. À cause de cela, le petit doigt du pied est gâté, l’arrière-bras est assez maigre, la chute des reins est très marquée ; mais les jambes, surtout la droite vue par derrière, auront la détente et l’élan d’un lévrier. C’est devant une pareille statue qu’on sent nettement la différence qui sépare la civilisation antique