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agité de molles frayeurs ? Ce n’est pas même la mort d’un de ces voluptueux héroïques qui font bonne contenance jusqu’au bout et en imposent encore par un calme superbe ; c’est la mort vulgaire d’un roi pusillanime, d’un satrape égoïste et indolent que la peur ramène au goût des sacremens : digne fin d’un règne qui laisse la politique de la France marquée du stigmate de lord Chatham, les hontes de la dernière paix à peine effacées un instant par les hardies combinaisons de M. de Choiseul et ravivées par le récent partage de la Pologne, la royauté en lutte avec les parlemens, la guerre dans les choses de religion, la banqueroute dans les finances, la famine dans les campagnes, la corruption et les dilapidations, les intrigues et les cabales dans un gouvernement qui se dissout, une fièvre lente minant la monarchie, les esprits poussés aux nouveautés par un mouvement naturel de progrès humain et par le spectacle des misères présentes. C’est à ce moment, — le 10 mai 1774, — sous le poids de ce redoutable héritage, que paraissent ces deux princes appelés tout à coup à ceindre la couronne du roi mourant, le dauphin qui va être Louis XVI et la jeune dauphine qui va être Marie-Antoinette. Louis XVI avait vingt ans ; il était le petit-fils de Louis XV, le fils du grand dauphin, ce second duc de Bourgogne qui rappelait le premier par l’austérité, par la dévotion, et qui avait eu comme lui une fin mystérieuse ou au moins imprévue. Marie-Antoinette avait moins de dix-neuf ans ; elle était née le 2 novembre 1755, et elle était fille de l’impératrice-reine de Hongrie, la grande Marie-Thérèse. Elle portait dans ses veines ce sang de Lorraine et d’Autriche que M. de Choiseul devait aimer, lui Lorrain, et qu’il voulut mêler au sang de la maison de Bourbon, lorsque, tentant de relever la politique de la France par tout un système d’alliances nouvelles, il se préoccupait de donner à ses combinaisons la force et l’appui d’un lien de famille.

Elle était arrivée en France au mois de mai 1770, comme le gage d’une politique nouvelle, cette archiduchesse de quatorze ans et demi, que la nature avait faite si gracieuse et si vive, qui avait joué dans son enfance à Vienne avec Mozart, qui avait appris l’italien avec Métastase, et qu’on s’était empressé de former à son rôle nouveau par toute sorte de maîtres français depuis l’abbé de Vermond, son précepteur et son guide, jusqu’à Noverre, son professeur de danse, jusqu’aux comédiens Dufresne et Sainville, chargés de lui enseigner la belle prononciation et le chant. On avait élevé sur une île du Rhin un pavillon « dont un côté était censé l’Allemagne, l’autre la France. » C’est là que, saisie déjà par l’étiquette, livrée aux femmes qui lui ôtaient jusqu’à son dernier vêtement d’archiduchesse, elle disait adieu à « ses pauvres dames » d’Allemagne et passait à la maison française envoyée au-devant d’elle. C’est là,