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et à l’Autriche, il est néanmoins positif que le cabinet des Tuileries avait compté jusqu’au dernier moment sur l’adhésion expresse de la cour de Saint-Pétersbourg, et qu’il fut profondément blessé de son refus final. D’ailleurs, lorsqu’on parcourt le recueil des pièces diplomatiques de cette année si agitée de 1863, on est tout frappé d’entendre ce mot de congrès européen prononcé pour la première fois par M. de Bismark, et cela dès l’été. « Le meilleur moyen peut-être de résoudre la question du Slesvig-Holstein (une question qui, à ce moment, n’avait encore aucune gravité), ce serait de la soumettre à un congrès européen, » disait alors le ministre prussien à sir A. Buchanan, que ces paroles ne laissèrent pas de surprendre[1]. Serait-ce donc jusqu’au ministre du roi Guillaume Ier qu’il faudrait remonter dans la recherche des origines de la proposition du 5 novembre ? Et M. de Bismark aurait-il eu non-seulement le mérite incontestable d’avoir si bien profité de la situation créée par le projet de congrès, mais encore celui de l’avoir préparée, d’avoir inventé la machine de guerre et de l’avoir fait éclater entre les mains de la France ? C’est ce qu’effectivement on prétendait dans quelques cercles de Berlin, épris d’une admiration excessive peut-être pour le génie de ce ministre. L’esprit demeure confondu, dans tous les cas, devant un problème si obscur, devant ce qu’un Milton aurait peut-être appelé des ténèbres visibles ; il lui reste néanmoins une grande consolation, c’est que, quelque trouble que puisse être la source d’une pensée, cette pensée devient belle et resplendissante lorsque c’est la France qui lui sert d’interprète.

Il fut beau en effet et non sans grandeur, cet appel suprême à la justice, à la concorde ; s’il ne fut point entendu, peut-être ne faudrait-il s’en prendre, qu’à l’absence d’élévation qui caractérise si malheureusement notre époque. Quant à la Pologne, ce fut un de ses plus grands malheurs en 1863 que la seule puissance qui ait sincèrement voulu son bien l’ait toujours poursuivi sur des hauteurs inaccessibles à la diplomatie ordinaire ou dans une direction qui l’effarouchait. Le gouvernement français avait d’abord attaqué la question polonaise par son côté le plus délicat, le plus dangereux, — le côté de la Prusse. Ensuite, et afin d’éviter les souvenirs de 1815, il avait imaginé de la traiter à un point de vue élevé qui la maintint dans un vague dont le prince Gortchakov seul eut à se féliciter. Enfin le discours du 5 novembre la transplanta décidément dans des sphères idéales, dans des régions où elle ne pouvait que s’évaporer. Au fond, la France prononçait ce jour-là

  1. « His excellency replied that the best way to settle the question might be to submit it to a congress. » (Dépêche de sir A. Buchanan du 30 mars 1863.)