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en donnant un gage certain à l’Autriche : ce fut ce projet de déclaration de déchéance dont on a raconté plus haut les phases aussi piquantes qu’instructives. On a vu les velléités du cabinet de Vienne à ce moment, les demandes très légitimes qu’il faisait au sujet de l’adhésion qu’on sollicitait de lui ; on a vu aussi le refus péremptoire de lord Russell d’assumer sa part de responsabilité dans les conséquences de la démarche qu’il proposait, et de donner l’assurance que réclamait impérieusement la situation de l’empire des Habsbourg. Dès lors tout fut dit pour l’Autriche, et elle ne tarda pas à prendre ses mesures en conséquence.

En effet, et sans même attendre l’issue finale du projet de lord John Russell, le coup de télégraphe qui devait l’arrêter d’une manière si déplorable, le comte Rechberg s’empressa (vers le milieu d’octobre) d’envoyer à Saint-Pétersbourg les déclarations les plus rassurantes. M. de Thun fut informé que le gouvernement de l’empereur n’avait jamais voulu participer et ne participerait jamais à une politique « qui pourrait être regardée comme hostile à la Russie. » Le représentant de sa majesté apostolique devait assurer le prince Gortchakov qu’il n’avait jamais été dans l’intention du cabinet impérial, soit de regarder les traités de 1815 comme annulés, soit de déclarer belligérans les insurgés des provinces polonaises de la Russie. Le gouvernement de sa majesté impériale n’avait pas cessé, il ne cesserait pas d’employer toute son influence pour maintenir la paix européenne et de travailler dans l’intérêt des deux pays. Vers la fin de sa dépêche, M. de Rechberg félicitait sincèrement l’armée du tsar des succès qu’elle avait déjà remportés et qui faisaient prévoir son prochain et complet triomphe de la révolte ; il annonçait même avoir donné les ordres les plus précis aux autorités de la frontière pour fermer tout passage à l’insurrection. En même temps que le cabinet de Vienne tenait à la chancellerie russe ce langage significatif, il y conformait sa conduite à l’intérieur. M. de Mensdorff-Pouilly, alors gouverneur de la Galicie, et dont les instincts administratifs, peut-être aussi les sentimens de loyauté militaire, avaient toujours répugné au jeu cruel pratiqué dans cette province (il demanda même à une certaine époque un congé temporaire), reçut alors des instructions selon son cœur. Le moment était suprême, la France allait perdre tout le fruit d’une entente si péniblement formée, si laborieusement maintenue ; M. le duc de Gramont fut avisé de faire une nouvelle et pressante communication au cabinet de Vienne. M. Drouyn de Lhuys se plaignait des mesures rigoureuses que le gouvernement autrichien avait jugé nécessaire de prendre en Galicie, et que les circonstances ne semblaient nullement justifier. Cette sévérité non motivée ne pouvait