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rendre sa politique suspecte… Chose triste à noter, la déclaration que ne put obtenir du comte Rechberg le frère du tsar vers le milieu de septembre, lord John Russell devait la concéder, un mois plus tard, à M. de Bismark dans sa piteuse dépêche du 20 octobre ! Le mot de satisfaction s’y trouve en toutes lettres.

Lorsqu’on regarde de plus près à ce mélange bizarre et assurément peu édifiant de connivences et de réticences, d’adhésions et de refus, de volontés et de nolontés[1], que présentait en 1863 la politique de l’Autriche, on est forcé de s’avouer que la Pologne a été à la fois l’épouvante et la tentation du cabinet de Vienne pendant tout ce temps. Les idées traditionnelles, l’horreur de la révolution, les méfiances contre le cabinet des Tuileries, le désir de conserver la Galicie, la crainte des « aventures, » faisaient d’ordinaire pencher la balance du côté du système de la « stabilité ; » mais parfois aussi des prévisions plus saines de l’avenir et les amertumes du moment causées par les échecs dans la question allemande, enfin, chez quelques-uns du moins des membres de la famille impériale, certaines considérations religieuses, faisaient regarder la restauration de la Pologne comme une chose désirable, heureuse et glorieuse, — et la France se reprenait alors à espérer et à traiter. Par malheur, dans ces momens aussi, l’Angleterre était toujours là pour dissuader, pour prêcher la « prudence » et comprimer les velléités. On se racontait dans les cercles bien informés de Vienne une curieuse conversation qui avait eu lieu entre l’empereur d’Autriche et lord Clarendon pendant la journée des princes à Francfort. Sa seigneurie avait recommandé la plus grande circonspection dans les affaires de Pologne ; malgré ses « vives sympathies » pour ce malheureux pays, l’Angleterre se voyait forcée de garder une réserve absolue, parce qu’elle n’était nullement rassurée sur les intentions du cabinet des Tuileries, et lord Clarendon n’hésitait pas à déclarer que le gouvernement de sa majesté britannique ne se déciderait jamais à des mesures extrêmes contre la Russie tant que la cour de Berlin maintiendrait son attitude, vu que la guerre entreprise en de telles éventualités amènerait infailliblement la ruine de la monarchie prussienne. François-Joseph aurait répondu au noble lord que, sans s’associer tout à fait à cette méfiance contre la politique française, méfiance peut-être excessive, il se tiendrait également sur la réserve ; les intérêts de l’Autriche le lui commandaient d’une manière impérieuse. L’aversion de l’Angleterre pour tout système coercitif envers la Russie, ce fut là en effet la grande inquiétude des hommes politiques de l’Autriche, car il ne s’en trouva pas un seul parmi

  1. Expression de Mirabeau dans sa correspondance avec La Marck (27 janvier 1790).