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vaillante femme qui porte une couronne ; Mme Elisabeth est le cœur simple et fidèle, dévoué jusqu’à la mort ; Marie-Antoinette est l’intelligence et l’héroïsme de cette royauté en détresse.

Ce n’est plus la reine des apologies emphatiques ou des détections passionnées, c’est la reine se racontant elle-même dans ces confidences de tous les jours à sa mère, à ses frères l’empereur Joseph et l’empereur Léopold, à ses sœurs, au comte de Mercy, à la princesse de Lamballe, se montrant telle qu’elle est, vive, sensible, animée, émue, sérieuse, et toujours vraie, toujours femme par l’instinct, par les faiblesses comme par les dons heureux. Elle n’est pas aussi frivole qu’on l’a dit : elle est jeune d’abord, elle aime à jouer avec la vie, elle se plaît dans une atmosphère d’élégance et de plaisir, loin de la politique et de l’étiquette, et ce rêve d’une royauté enchantée dure quinze ans, de 1770 à 1785. Aux premiers signes de l’orage qui menace de crever sur la monarchie, elle se transforme, ou plutôt c’est la fille de Marie-Thérèse qui se dégage, et qui, après avoir été la plus grande dame de France, devient l’héroïne, l’âme virile de ce monde effaré, jusqu’au jour où, frémissante, avilie et perdue, elle se débat inutilement sous cette conjuration de légèretés haineuses dont la révolution vient dire le dernier mot, mais qui a été nouée dans les futiles agitations d’une société désœuvrée et ennemie. C’est là vraiment ce qu’il y a de dramatique dans cette destinée d’une reine gracieuse à qui rien ne réussit, pour qui tout est malheur et contre-temps, même dans l’éclat de la prospérité. Les princes la jalousent, les ministres aiguisent contre elle les défiances du roi ; Louis XVI lui-même se frotte les mains lors du renvoi de M. de Brienne en disant : « Après tout, c’était un homme de la reine ! » Ses amis la trahissent et sont les premiers à montrer au peuple comment on flétrit une femme qui porte une couronne ; les courtisans jouent avec son honneur en attendant que les émigrés jouent avec sa vie, et de tout ce qui se relève pour rendre témoignage contre l’ancien régime, je ne sais si rien est plus cruellement saisissant que cette fatalité qui fait de Marie-Antoinette la victime d’un entourage imbécile ou corrompu au moins autant que de la révolution elle-même, qui avec quelques diffamations de cour la livre à l’appétit brutal des multitudes comme la dernière personnification des vices d’une monarchie dégradée.


I

Qui ne se souvient de la fin de Louis XV, de cette fin presque grotesque d’un roi alourdi de débauches, disputé jusqu’au bout par Mme Du Barry et par l’étiquette qui attend l’heure des sacremens, entouré de quatorze médecins de qui il implore la vie, et misérablement