Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le rêvent les hommes de Gotha et du National Verein. Le jour où une pareille transformation serait sur le point de s’accomplir, la France, à moins de déchoir, devra tirer l’épée et demander des compensations matérielles et morales du côté du Rhin et de la Vistule. N’oublions pas cependant que l’unité allemande ainsi entendue ne saurait se réaliser autrement que toutes les unités nationales fortement établies que connaît jusqu’ici l’histoire ; en un mot, elle ne saurait être que l’œuvre de la guerre et de la conquête, avoir d’autre marraine que la révolution ou bien une monarchie aussi révolutionnaire (au point de vue de l’agrandissement territorial) que la Prusse. Quand ce n’est que le vieil empire des Habsbourg qui prétend organiser cette unité allemande, elle perd beaucoup de son aspect dangereux par cette simple raison qu’elle devient alors irréalisable. Dans ce monde politique comme dans cet autre moins laid sans contredit, il n’est guère donné, hélas ! qu’à la jeunesse de faire des conquêtes : la sénilité n’a plus que le souci de la conservation, et ce n’est pas certes l’Autriche qui pourra devenir un jour le Piémont attendu ou redouté de l’Allemagne[1]). À défaut de tout autre obstacle, celui que soulèvera immanquablement, fatalement, la rivalité de la Prusse suffirait à lui seul pour faire avorter toute tentative de ce genre. Et en effet l’opposition décidée, violente, implacable, que faisait en ce moment même M. de Bismark à l’œuvre de Francfort n’était-elle pas de nature à apaiser toutes les inquiétudes et à complètement rassurer sur les suites ? Il était permis à M. de Rechberg d’entreprendre quelque peu à l’étourdie une chose impossible, et de s’aveugler sur la situation dans le désir fiévreux d’éclipser M. de Schmerling par un coup splendide. La diplomatie étrangère, qui n’était point mêlée à ces passions, à ces entraînemens, aurait dû conserver plus de calme, aurait dû deviner dès le début que cette « journée des princes » (Fürstentag), ainsi qu’on appelait en Allemagne la réunion de Francfort, finirait par être une véritable journée des dupes[2]. Une politique habile aurait même profité de la situation pour rendre les rapports entre les deux cabinets de Vienne et de Berlin encore plus délicats, et pour attirer

  1. Nous croyons néanmoins que l’Autriche a une grande mission à remplir, mission qu’elle s’obstine malheureusement à ne pas reconnaître ou à traiter avec beaucoup trop d’insouciance. Il s’agit de sa tâche vis-à-vis des peuples slaves, magyares et roumains, de la nécessité pour l’empire des Habsbourg de devenir de fait ce qu’il n’a été jusqu’ici que de nom, un Ost-reich, un empire d’Orient. — Voyez la Revue du 15 janvier 1863.
  2. Du reste le seul point qui pouvait choquer le cabinet des Tuileries dans le projet de l’empereur d’Autriche, le paragraphe 5 de l’article 8, ne tarda pas à être amendé à Francfort de manière à perdre tout caractère inquiétant. D’après ces amendemens, ce n’était plus à la simple majorité, mais aux trois quarts des voix du Bund que devait être votée toute décision qui associerait l’Allemagne à des conflits extérieurs.