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en donnant à leur action un caractère d’engagement réciproque et de solidarité. C’est ainsi que le cabinet de Vienne a eu hâte de rejeter le 10 juillet, spontanément et « catégoriquement, » et même « avant de s’être entendu avec les gouvernemens d’Angleterre et de France[1], » la proposition insidieuse du prince Gortchakov d’une négociation séparée entre les trois puissances copartageantes, proposition où le désir de détacher l’Autriche était assez manifeste, et où il est impossible de ne pas reconnaître la main de M. de Bismark. Le comte Rechberg à cette occasion procéda, on s’en souvient, avec un empressement qui étonna l’Europe, qu’il expliqua lui-même diversement selon ses divers interlocuteurs, mais qu’à Paris on trouva de bon augure. C’est ainsi que, quelques jours plus tard, le ministre autrichien appuya fortement la proposition que faisait M. Drouyn de Lhuys à l’Angleterre d’adresser à la Russie une note identique, une espèce d’ultimatum « qui devait rehausser l’autorité des démarches des puissances et garantir à l’Autriche qu’on entendait rester solidaire des conséquences, d’une politique commune. » Ce fut l’Angleterre qui mit alors ce projet à néant, et le ministre des affaires étrangères de France put écrire au sujet de cette transaction, dans un document bientôt rendu public, ces paroles significatives : « Nos raisons, je le constate avec plaisir, ont été très bien comprises à Vienne, et je me fais un devoir de reconnaître qu’il n’a pas dépendu du gouvernement autrichien que notre proposition ne fût adoptée[2]… »

Du reste, et vers ce même temps (fin juillet et premiers jours d’août), l’empereur François-Joseph devint personnellement l’objet de deux sollicitations en sens contraire, toutes les deux cependant imposantes, et dont le résultat, connu sur-le-champ à Paris, ajoutait aux espérances qu’on y nourrissait D’ailleurs la France n’était pas tout à fait étrangère à la première des démarches dont nous parlons, et qui vint du souverain pontife. Appréciant avec justesse l’influence du Vatican sur l’entourage et l’esprit de l’empereur François-Joseph, le cabinet des Tuileries s’était de bonne heure adressé à la cour de Rome en la priant d’intercéder à Vienne pour la nation polonaise, et Pie IX se prêta généreusement au concours qu’on lui demandait. Un prélat tenu en très haute estime à Vienne, et que son origine allemande recommandait particulièrement aussi bien au choix du pape qu’aux égards de sa majesté apostolique, le cardinal de Reisach, vint, vers le milieu de juillet, dans la capitale des Habsbourg en mission confidentielle et porteur d’une lettre autographe,

  1. Dépêche du comte Rechberg au prince de Metternich, 19 juillet 1863.
  2. Dépêche à M. le duc de Gramont, 3 août 1863.