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l’île Saint-Denis. La jeune fille, c’est Mlle Renée Mauperin ; le jeune homme, c’est M. Reverchon, récemment présenté, non sans intention, dans la maison Mauperin. L’un et l’autre nagent ou se balancent aux flancs d’un gros bateau amarré à la rive, et le roman ajoute avec une candeur véritable qu’un « instinct de pudeur faisait fuir à tout moment le corps de la jeune fille devant le corps du jeune homme, chassé contre elle par le courant. » Pendant ce temps, les deux nageurs engagent une conversation animée, et Mlle Renée s’abandonne aux excentricités de langage propres à une jeune personne qui a en horreur le convenable, qui se révolte parce qu’on ne la conduit pas aux représentations du Palais-Royal, parce qu’elle est obligée de se cacher pour se former l’esprit à la lecture des Saltimbanques, et parce qu’on lui retire les journaux où se trouve le récit de certains crimes. C’est bien la peine de lui interdire tout cela pour lui permettre les parties de natation avec les jeunes gens ! Notez que M. Reverchon, avec qui elle se balance ainsi dans l’eau et fait la conversation, est destiné, dans la pensée de ses parens, à devenir son mari. Elle veut reconduire, et elle y réussit tout à fait. Le mariage reste dans l’eau ; La scène est neuve, j’en conviens ; d’autre part, Mlle Mauperin, nous dit-on, est une enfant gâtée. Il se pourrait cependant que la scène fût plus neuve et plus originale qu’heureusement trouvée. En fait de peintures de mœurs, on pourrait peut-être imaginer mieux, car enfin, si libres que soient nos mœurs, il n’est pas ordinaire, je suppose, que jeunes filles et jeunes gens de haute ou basse bourgeoisie fassent connaissance et nouent ou dénouent leur mariage en nageant ensemble, même avec un costume de bain. Et c’est pourtant dommage que ce roman s’ouvre d’une façon ridicule. Je n’ai pas, on le comprend, l’intention de le raconter ; mais en se déroulant il finit par prendre de l’intérêt. il y a dans ce monde décrit par les auteurs des caractères vivans et vrais. Ce n’est pas un caractère dénué de vérité que le frère de Renée, Henri Mauperin, type du jeune homme d’aujourd’hui, tel qu’il apparaît dans certaines sphères, prématurément grave, positif et sans flamme, calculant tout, faisant servir ses plaisirs à ses intérêts, écrivant des articles d’économie sociale, rêvant déjà d’être député ou d’entrer à l’Académie des Sciences morales, ayant tout juste assez de vanité pour s’anoblir à demi et se faire un blason en se mariant, puis un jour, à la veille du succès, tombant dans un duel sous la balle de ce rustre de noble dont il a pris le nom. Et Bourjot, n’avez-vous jamais rencontré sur votre chemin M. Bourjot, l’ancien commerçant, le libéral de 1820, qui est devenu conservateur depuis qu’il est millionnaire, qui ne comprend plus rien à l’ambition du menu peuple, qui fredonne encore, il est vrai, un refrain de Béranger contre les prêtres, mais qui est d’avis que tout irait bien mieux, si les ouvriers allaient à la messe ? Renée Mauperin, elle aussi, une fois dépouillée de son accoutrement de baigneuse, devient une personne d’une aimable spontanéité, qui finit par être émouvante lorsqu’elle meurt parce qu’elle a été l’instrument involontaire de la fatalité qui a frappé son frère. Il y a, au demeurant, quel-