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il aborde d’autres sujets, il ne peut se défaire du pli qu’il a contracté en vivant dans une certaine atmosphère, en remuant certaines choses. MM. Edmond et Jules de Goncourt en font l’expérience dans les romans qu’ils publient de temps à autre, et où ils essaient de ressaisir quelques côtés de la vie contemporaine. Ils passent d’un coup du xviiie siècle musqué aux extrémités les plus crues du réalisme moderne, ils vont jusqu’à la peinture des salles d’hôpital ou de la débauche de bas étage, et néanmoins ils restent des raffinés qui, jusque dans les scènes le plus audacieusement et le plus délibérément triviales, gardent l’habitude du musc et du papillotage du dernier siècle ; ils flottent entre les afféteries et les crudités réalistes, ou, pour mieux dire, ils mêlent les tons, ce qui n’ajoute pas à l’agrément. Une chose fait défaut à ces ingénieux et trop abondans érudits dans leurs récits romanesques : ils ont des connaissances d’une certaine nature ; ils ont de l’habileté quelquefois, de la vivacité toujours ; il leur manque la sûreté du goût, le sens exact de la limite entre l’art véritable et ce qui n’est plus qu’une composition de hasard. Ils écrivent beaucoup, et il n’est pas bien avéré qu’ils soient des écrivains. Écrire et n’être point des écrivains, direz-vous, quelle contradiction ! C’est pourtant ce qu’il y a de plus simple au monde. Si tous ceux qui écrivent aujourd’hui sur un sujet ou sur l’autre, parce que cela les sert dans leurs affaires, ou parce que cela donne tout de suite un maintien et peut conduire à une académie quelconque, si tous ceux-là étaient des écrivains, la France serait vraiment trop riche. Heureusement il faut plus que cela pour être un écrivain. MM. Edmond et Jules de Goncourt se rapprochent par instans du but plus que d’autres sans doute, et ils ont surtout une bonne volonté littéraire plus désintéressée ; ils n’ont pas, je le répète, une notion claire des conditions de l’art. Et voici ce qui leur arrive nécessairement : ils ont par momens des bonheurs d’invention ou d’expression, puis aussitôt ils tombent dans de prétentieuses vulgarités, et ils ont des procédés de style qui infligent à la langue les plus cruelles tortures. Parfois il ne faudrait vraiment pas beaucoup d’art pour donner de l’intérêt à un fragment, même à un roman comme Sœur Philomène ou Renée Mauperin, et ce peu qui serait nécessaire, ils ne le trouvent pas, ils passent à côté. Une scène est tout près de devenir piquante ou émouvante, elle se perd soudain dans un fatras, ou bien, pour arriver à une partie qui commence à intéresser, il faut passer à travers des détails qui font que la curiosité la plus déterminée peut fort bien s’arrêter en chemin, quelquefois dès le premier pas. Par exemple, voici un des romans de MM. Edmond et Jules de Goncourt, Renée Mauperin : comment s’ouvre-t-il ? On a certes imaginé bien des manières de commencer un roman. Les auteurs de Renée Mauperin ont tenu à n’imiter personne, à se montrer originaux, et ils ont incontestablement réussi sous ce rapport.

Figurez-vous donc une jeune fille et un jeune homme faisant de compagnie une partie de natation dans un bras de la Seine entre La Briche et