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chées, licencieuses ou vulgaires ! Que de fables équivoques ! que de pauvreté d’imagination sous une apparence de luxe, et que de fleurs banales de la fantaisie ou du réalisme ! En avons-nous vu naître, tourbillonner et mourir de ces futilités ou de ces grossièretés d’une saison, de ces œuvres qui avaient la prétention de procéder de la plus pure fantaisie, de ces récits qui se donnaient ambitieusement comme une expression fidèle de la réalité humaine, parce qu’ils allaient s’attaquer aux côtés les plus insignifians ou les plus choquans de nos mœurs et de notre vie de tous les jours ! Le roman n’a point précisément gagné dans toutes ces aventures ; il n’est devenu ni plus vrai, ni plus humain, ni plus émouvant, ni plus amusant ; il est devenu un moyen de satisfaire des goûts passagers, souvent assez malsains, de tenir en haleine des curiosités vulgaires, quelquefois de servir à souhait certains appétits de choses scandaleuses. Il s’est amoindri ; dans cette production quotidienne qui se renouvelle incessamment, il a donné de notables marques d’indigence, et à côté du vrai, du sérieux roman, qui apparaît encore de temps à autre, il s’est formé tout un genre qui pourrait s’appeler le petit roman. Il y avait dans l’Olympe les dieux inférieurs ; il y a aussi des dieux inférieurs dans la poésie et encore plus dans le domaine de l’imagination appliquée au roman. C’est là surtout qu’ils se multiplient et qu’ils menacent de devenir innombrables.

Cela veut-il dire que la sève soit épuisée, et que, même dans cette production devenue la moisson quotidienne, le talent soit tout à fait absent ? Nullement. C’est une puérilité de prendre si vite le deuil et de se figurer que tout est perdu parce que le génie ne court pas les rues. S’il ne s’agit que du talent, on pourrait bien plutôt dire de lui qu’il court les rues, qu’il abonde, qu’il se manifeste en détail, par éclairs, de mille façons fragmentaires et décousues. Il se dépense tous les jours un talent infini, cela n’est point douteux ; ce talent se dépense pour peu de chose, cela n’est pas moins certain malheureusement ; mais on s’accoutumerait difficilement à penser qu’il ne dût rien sortir à la fin de cette fermentation universelle, que l’heure où tout est en progrès, où tout suit un mouvement ascendant, fût justement l’heure d’un ramollissement général du cerveau pour nos contemporains, de l’appauvrissement des facultés créatrices de l’esprit. C’est le thème usé des prophètes de malheur de tous les temps, employant leur éloquence à crier que tout s’en va. Si le talent existe, est-ce donc le sujet qui manque à l’inspiration littéraire, et l’imagination, dans sa dévorante activité, a-t-elle à ce point parcouru tous les domaines qu’il ne lui reste plus rien à explorer, qu’elle ne trouve plus rien à saisir et à mettre en œuvre ? Pour cela, vous n’avez qu’à regarder devant vous, autour de vous. S’il ne faut que le mouvement de la vie, il se déroule tout-puissant dans sa confusion. Vous n’avez qu’à ouvrir les yeux pour voir les caractères, les mœurs, les types, les vices de toute une époque. Les passions, les chocs, les métamorphoses d’une société en travail, sont là qui attirent, qui frappent l’observation. Les élémens affluent ; ils ont été explorés sans