rience ne serait complète et sérieuse qu’à cette condition. L’administration devra faire violence à ses vieilles habitudes d’intervention, qui lui sont inspirées tantôt par un sentiment de protection, tantôt par un sentiment de défiance, et qui, dans ces derniers temps, se sont manifestées avec un redoublement d’excès en s’étendant aux œuvres les plus personnelles et les plus libres, aux œuvres de charité. Elle voit de la politique partout, de l’opposition, de la faction partout. Croit-on qu’une association d’affaires qui s’écarterait de son but tiendrait longtemps ? L’intérêt des associés serait la meilleure garantie du bon ordre et du respect de la loi. La défiance poussée à l’extrême, l’intervention toujours et partout de cette grande puissance qu’on appelle le gouvernement, c’est la ruine de l’initiative individuelle, c’est un obstacle permanent à la formation des associations les plus utiles et aux rapports qu’il serait si désirable de voir s’établir entre les citoyens de fortune et de condition diverses ; c’est en un mot un véritable non-sens. Il y a plus d’un an, les ouvriers d’une grande usine de Paris eurent la pensée de fonder une bibliothèque qui devait être administrée et entretenue au moyen de cotisations mensuelles. Un comité, composé de plusieurs personnes au nombre desquelles se trouvait celui qui écrit ces lignes, se chargea de seconder leur projet et de faire auprès de l’autorité les démarches nécessaires. Un règlement fut préparé, discuté, et envoyé au ministère de l’intérieur à l’appui d’une demande d’autorisation. Les enquêtes d’usage ont eu lieu ; mais on n’a reçu encore aucune réponse. D’autres demandes analogues seraient, paraît-il, dans le même cas, et pour excuser ce retard, qui équivaut à un refus d’autorisation, l’on allègue que le gouvernement étudie les moyens de donner lui-même satisfaction aux désirs si légitimes des ouvriers par la création de bibliothèques populaires. En attendant, les membres du comité dont il est question sont vraiment très embarrassés pour comprendre et pour expliquer aux délégués des ouvriers pourquoi la demande n’est pas encore accordée. Créez des bibliothèques populaires tant que vous voudrez, mais n’empêchez pas les particuliers de fonder avec leurs propres ressources un centre de lecture. Vous aviserez, s’il y a abus. — Par cet exemple, tiré de l’histoire la plus moderne, on peut juger des difficultés que rencontreront les projets d’association formés au sein des populations ouvrières. Toujours la défiance politique, toujours la tutelle de l’état ou de la cité au lieu et place de l’initiative individuelle ! Pour combattre les intrigues de quelques meneurs qui essaieront de se glisser dans ces réunions d’ouvriers, comme ils se glissent partout, on déconcerte, on mécontente une foule d’honnêtes gens. Le calcul est faux. Les ouvriers de Paris,
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