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depuis l’annexion pour augmenter le nombre des écoles primaires dans les quartiers de l’ancienne banlieue, on ne doit laisser passer aucune occasion de signaler à l’administration municipale et aux associations privées la nécessité de pourvoir sans retard aux besoins de l’instruction élémentaire. Il est de notre intérêt, comme de notre honneur, de ne point laisser dans les bas-fonds de l’ignorance un seul membre de la génération qui s’élève sous nos yeux. L’ouvrier n’est plus, comme autrefois, régi par des institutions corporatives, qui, en échange d’une sorte d’esclavage moral, lui concédaient certains priviléges et lui assuraient l’emploi de ses bras : il n’est plus, comme il l’était hier encore, exclu de la vie politique. Le voici maintenant libre comme individu et comme citoyen, exposé aux périls de la concurrence, pleinement responsable envers la société et envers lui-même. Quel serait le sort de l’ouvrier ignorant ? Il succomberait infailliblement devant ses rivaux : gorgé de droits, il mourrait de faim. Et quel rôle remplirait-il dans la cité ? Il ne serait qu’un instrument de désordre. C’est par l’instruction, généralement répandue à tous les degrés, sans en excepter un seul, que se rétablira l’harmonie sociale si profondément troublée par nos luttes révolutionnaires, et que l’on propagera les notions de moralité et de justice, sans lesquelles la liberté du travail et la répartition plus large des droits politiques, au lieu de constituer un double progrès, nous conduiraient de nouveau vers les abîmes.

À la suite de la statistique intellectuelle, la chambre de commerce a dressé une sorte de statistique morale des ouvriers parisiens. Les chefs d’établissement ont été interrogés, et il résulte de leurs déclarations que sur 100 ouvriers 90 ont une bonne conduite, 5 une conduite douteuse, 5 une mauvaise conduite. On comprend tout ce qu’avait de délicat et de difficile une pareille enquête, et, sans nous arrêter aux chiffres, nous devons n’y puiser qu’une impression générale qui est évidemment très favorable à la population parisienne. Ces 90 pour 100 de bonne conduite, pour emprunter le langage de la statistique, exprimeraient un état moral des plus satisfaisans. Il faut considérer qu’il ne s’agit ici que des ouvriers qui travaillent, et que l’enquête n’a point eu à s’occuper de cette tourbe de vagabonds, soi-disant ouvriers, qui étalent dans les rues de toutes les grandes villes leur misère désordonnée, et qui méritent si bien la qualification de vile multitude. Les ouvriers de Paris se divisent en trois catégories très distinctes : ceux qui travaillent chez eux à leur compte ou qui vivent chez le patron, ceux qui appartiennent aux grandes usines et ceux qui sont attachés à de petits ateliers. Les premiers pratiquent la vie de famille, qui est le plus sûr préservatif contre le désordre ; les seconds sont soumis à une discipline rigou-