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n’est que justice ; mais, sans l’épargne des familles, cette élévation des salaires demeurerait tout à fait impuissante contre la misère que doit amener infailliblement un chômage quelque peu prolongé. L’économie est donc la vertu la plus essentielle à souhaiter pour l’ouvrier de Paris, et il ne peut être question que de l’économie provenant de l’épargne individuelle. Les projets que l’on a quelquefois indiqués en vue de constituer des caisses collectives pour le chômage semblent complètement illusoires et impraticables. À supposer que ces caisses ne dussent s’ouvrir que pour les chômages périodiques et involontaires, elles seraient bientôt vides.

L’agitation qui s’est manifestée dans ces derniers temps au sujet de la durée du travail donne un intérêt particulier aux chiffres qui ont été recueillis par l’enquête sur cette condition importante de la vie industrielle. Dans 7,000 établissemens, l’ouvrier est présent pendant moins de douze heures, — dans 37,000 pendant douze heures, — dans 37,000 pendant plus de douze heures, et enfin dans 20,000 établissemens la durée du travail n’est point déterminée. Le temps de présence comprend ordinairement deux heures pour les repas du matin et du soir, de telle sorte qu’en 1860 la moitié environ des établissemens recensés n’imposaient que dix heures de travail effectif, et, dans l’opinion des rédacteurs de l’enquête, ce chiffre de dix heures doit être considéré comme étant le plus généralement adopté dans les ateliers organisés. Après avoir examiné cette statistique très complexe, nous demeurons convaincu qu’il serait vraiment impossible de réglementer par une loi (sauf pour ce qui concerne les enfans et les apprentis) la durée du travail dans les diverses branches d’industrie. En premier lieu, les travaux ne sont pas de même nature, et n’exigent pas la même dépense de force ; l’ouvrier supportera plus aisément telle besogne pendant douze heures que telle autre pendant huit heures seulement. En outre les opérations de certaines industries ont des exigences spéciales de travail intermittent ou continu qui ne se prêteraient pas à une limitation fixe et quotidienne. Enfin, à mesure que l’industrie progresse et que le niveau de l’instruction s’élève parmi les ouvriers, ceux-ci sont les premiers à désirer que le salaire soit fixé à la pièce. Nous voyons, par exemple, que le quart des ouvriers de Paris sont rémunérés sous cette forme, qui est la plus équitable et la plus avantageuse. Un grand nombre de travaux ne pouvant, à raison de leur nature, être payés qu’à la journée, cette proportion du quart pour les salaires à la pièce est déjà très considérable, et elle tend constamment à s’accroître. La limitation légale du nombre des heures de travail deviendrait préjudiciable à l’ouvrier non moins qu’au patron. En tout cas, elle serait à Paris d’une exécution à peu