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matière, il faudrait, ce semble, premièrement réformer les mœurs ; il faudrait, pour ainsi dire, naturaliser le devoir dans les esprits et dans les habitudes, le rendre moralement obligatoire, avant d’en faire un article de loi.

Ce qui doit contribuer en même temps à perfectionner l’apprentissage, c’est le haut prix qu’obtient aujourd’hui le travail d’un bon ouvrier. L’élévation du salaire a rehaussé la valeur de l’instruction professionnelle, qui devient ainsi le meilleur des placemens. La chambre de commerce a apporté le plus grand soin à relever le taux des salaires : c’est là, en effet, l’un des élémens les plus précieux à recueillir dans une statistique industrielle ; mais c’est aussi le renseignement qu’il est le plus difficile d’obtenir exactement, tant à raison de la variété des professions et des aptitudes que par suite des délicatesses de toute nature qu’entraîne nécessairement une telle enquête, où l’on se trouve en présence des intérêts contradictoires et des assertions parfois peu concordantes des patrons et des ouvriers. La somme d’argent qui exprime le taux fixe de la journée ne représente pas toujours le salaire entier : il s’y ajoute, dans certains cas, des avantages accessoires et souvent considérables, tels que le logement, la nourriture, etc. On doit aussi tenir compte des risques particuliers attachés à quelques industries, ainsi que des conditions de sécurité qu’offrent les ateliers où le travail est permanent et sans chômage. Enfin, bien que les variations de salaires ne soient pas très fréquentes, et que les prix de main-d’œuvre pour les diverses branches d’industrie conservent généralement les mêmes rapports, il peut se faire qu’au moment de l’enquête, la rareté ou l’abondance des bras, l’activité ou le ralentissement des commandes modifient momentanément, en plus ou en moins, le prix de la journée dans plusieurs ateliers. Ces difficultés sont inévitables, et elles créent autant de chances d’erreur qui défient les efforts des investigateurs les plus sincères. Reconnaissons cependant que, ces réserves faites, l’enquête de la chambre de commerce sur les salaires doit fournir des documens qui se rapprochent autant que possible de la vérité, non-seulement parce qu’elle a été conduite avec une habileté très consciencieuse, mais encore parce qu’elle s’applique à une année (1860) pendant laquelle les transactions et le travail industriel se sont maintenus dans des conditions à peu près normales.

En exposant les résultats généraux de l’enquête, la chambre de commerce a formé pour les ouvriers, au nombre de 290,000 dont elle a pu constater les salaires, trente-deux groupes qu’elle a résumés en trois sections. La première section comprend 64,000 ouvriers gagnant de 50 centimes à 3 francs par jour, — la seconde