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chômage à cette population qui ne peut vivre que par le travail de chaque jour, si la disette surélevait le prix des subsistances, si les événemens politiques paralysaient le crédit qui met en mouvement tous ces bras ? Ce ne sont point là de simples hypothèses. Paris a traversé de ces périodes désastreuses, durant lesquelles argent, crédit, travail, tout manque à la fois, et l’on sait ce qu’il en a coûté de misères et de sacrifices. Que serait-ce donc aujourd’hui avec une population ouvrière plus nombreuse et avec le développement d’affaires que nous voyons se continuer depuis dix ans ? Il semble que la moindre perturbation, qu’un temps d’arrêt deviendrait mortel, et que Paris entier subirait le même effet qu’un convoi de chemin de fer qui, lancé à toute vitesse, déraillerait ou s’arrêterait soudain. Nous avons entendu plus d’une fois exprimer ces inquiétudes, et certes les chiffres statistiques que vient de publier la chambre de commerce ne sont pas de nature à les calmer. Tandis que les esprits enthousiastes admireront cette puissance industrielle que représente une production de plus de 3 milliards, beaucoup d’esprits prudens dénombreront avec crainte ce demi-million d’ouvriers auquel il faut assurer le travail et le salaire.

Ces préoccupations sont très légitimes. Cependant, en pareille matière, il convient d’étudier et d’apprécier les faits sans timidité comme sans enthousiasme. Si la prépondérance industrielle et commerciale de Paris était un fait artificiel, contraire à la nature des choses, on aurait raison de s’effrayer des conséquences, car tout ce qui est anormal et factice est dangereux ; mais cette prépondérance s’explique parfaitement. Il n’y a point là seulement un signe et un effet de la centralisation française : dans la plupart des pays, la capitale politique est en même temps le foyer le plus actif du travail et de la production. D’une part, les capitales sont ordinairement établies dans la région la plus populeuse et choisies parmi les villes les plus peuplées ; elles forment donc par elles-mêmes un grand centre de consommation, et il est dès lors naturel que pour la majorité des produits, surtout pour ceux qui se débitent au jour le jour, la fabrication s’installe à l’endroit même où ces produits se consomment. En second lieu, la capitale est un point d’attraction vers lequel converge une population flottante plus ou moins considérable, composée de nationaux ou d’étrangers, et ce mouvement vient augmenter le chiffre de la consommation et de la production quotidienne. Ces deux élémens suffiraient pour justifier dans les capitales la prédominance numérique de la population ouvrière. Ce n’est pas tout : par cela même que les capitales sont généralement très peuplées, elles voient affluer dans leur sein les industries pour lesquelles le bas prix et la régularité de la main-d’œuvre ne sont