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il n’en est pas moins vrai qu’ils ont vécu d’un idéal supérieur à tout ce qui les avait précédés, et qu’ils ont contribué à former le nôtre De toutes ces figures du iie siècle dont nous avons tâché de reproduire la physionomie, quelle est celle sur laquelle s’arrêterait l’unanimité de nos sympathies ? Serait-ce Polycarpe et sa rudesse orthodoxe ? Serait-ce Valentin et son système hérissé ? Serait-ce Irénée et sa médiocre théologie ? Non ; je prétends que ce serait l’humble Blandina, la vierge martyre, oubliant ses douleurs pour servir de mère au pauvre enfant qui meurt, lui aussi, dans les tourmens... Cette tendresse dans la vaillance, cet espoir dans la douleur, oh ! que voilà bien le christianisme éternel, la sublime nouveauté qui doit durer toujours ! Et qui songe, en voyant Blandina mourir ainsi, à se demander si elle est montaniste ou catholique, hétérodoxe ou orthodoxe ?

Il reste bien peu en somme du christianisme d’ Irénée, si l’on entend par là sa dogmatique ; mais ce qu’il eut en partage avec tous les chrétiens de son temps, hérétiques et autres, ce qui fait qu’il faut savoir pardonner à son intolérance comme à celle de ses successeurs, et même la préférer à la vieille insouciance païenne, c’est ce sentiment haut et vif de la vérité invisible, c’est ce respect, cet amour de la nature humaine, fruit authentique et impérissable de l’Évangile, c’est cette obéissance à la loi sacrée qui nous ordonne de vivre pour autre chose que le pain qui périt, c’est ce sérieux moral de l’âme qui se sent appelée à s’élever vers Dieu. Quand on pénètre au fond des choses, les misères de l’intelligence n’empêchent pas de voir la grandeur de l’esprit. En définitive le progrès se réalise. On se dit alors qu’on est engagé soi-même dans le mouvement ascensionnel de l’humanité, on tâche d’y contribuer selon ses forces, et, bien loin de n’éprouver que pitié ou dédain pour les illusions de la pensée religieuse, on reconnaît dans leur longue succession la marque même de notre destinée réelle, l’on se sent animé d’une franche et libre sympathie pour tout ce qui peut s’appeler une approximation de l’ineffable.