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les traits que forgeait avec peine l’officine de Downing-street, Lorsque ensuite le prince Gortchakov était sur le point d’expédier sa réponse aux puissances, M. de Bismark avait hâte d’informer quelques jours d’avance le principal secrétaire d’état du contenu de la missive russe et d’en atténuer au possible la mortifiante impression. La réponse étant arrivée et l’amertume en devenant grande, M. de Bernstorff demandait la permission de lire au comte Russell une dépêche confidentielle de son gouvernement, et cette dépêche attirait « sérieusement » l’attention de l’Angleterre sur les dangers qui résulteraient pour la paix générale d’une pression plus forte exercée sur la Russie, vu que, dans le cas d’une intervention armée en Pologne, la Prusse serait forcée de se joindre à la Russie a pour sauvegarder son intégrité et celle de l’Allemagne. » Le chef du foreign-office avait beau se récrier à cet endroit, avait beau protester de ses intentions inébranlablement pacifiques et exprimer à la fin « son profond étonnement et chagrin » de voir le gouvernement du roi Guillaume Ier « s’obstiner dans une solidarité peu honorable avec l’atroce conduite de la Russie : » M. de Bismark tenait ferme, et, pour achever de porter le trouble dans l’esprit de lord John, il ne négligeait pas non plus de lancer un petit mot « plein d’appréhensions » au sujet du Slesvig-Holstein. Cette affaire du Slesvig-Holstein n’avait pas encore, à l’époque dont nous parlons ici (au printemps et dans l’été de 1863), l’aspect grave qu’elle devait prendre plus tard par un concours de circonstances vraiment fatales ; elle n’était pas encore du tout alors une question brûlante, elle continuait seulement d’être une question « ennuyeuse, » — a tedious question, comme l’appelait sir A. Buchanan dans sa dépêche du 11 avril, — et l’Europe ne s’attendait nullement à un arrêt si prochain et si définitif dans ce procès interminable dont elle s’était habituée depuis longtemps à entendre sans émotion aucune les plaidoiries monotones. Telle qu’elle était cependant alors, cette affaire du Slesvig-Holstein rendait déjà des services signalés à M. de Bismark dans son action sur lord Russell au sujet de la Pologne, car c’est comme modérateur de « l’inquiétante » effervescence de l’Allemagne contre le Danemark que se posait pendant tout ce temps le ministre prussien devant la diplomatie britannique. Dix jours encore avant le fameux vote du Bund (dépêche de sir A. Buchanan du 19 septembre), il « affirmait » à l’ambassadeur anglais près la cour de Berlin « avoir fait tout son possible (every thing in his power pour recommander la modération à Vienne et à Francfort » et pour empêcher l’exécution fédérale !…

C’est donc d’après les mêmes règles d’une stratégie qui avait déjà fait tant de merveilles auprès de lord John Russell que procéda