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pée est tragique, c’est comme le drame intérieur d’une âme perdue dans sa recherche de l’introuvable. Ce drame se déroule, comme une fresque gigantesque, sur le firmament. Là, les hommes viennent le contempler, retrouver le reflet de leur âme à eux-mêmes, écouter l’écho de leur long soupir, et se disent que ce désir, ce soupir immense est en Dieu lui-même avant d’être en eux.

La cause première, le principe de toutes choses dans le système valentinien, c’est l’Abîme (Bythos), ou la Monade indescriptible, qui renferme et contient tout. L’Abîme n’a en face de lui que sa compagne, dont le nom, féminin en grec, signifie silence. C’est la première des syzygies valentiniennes : dans ce système en effet, les éons divins, c’est-à-dire les déterminations successives et personnelles de l’essence divine, se déroulent deux par deux, chaque éon masculin ayant à côté de lui un éon féminin. C’est leur totalité qui constitue le Plérôme, à savoir le Dieu réel, concret, vivant, tandis que l’Abîme et le Silence forment une première syzygie, qui en est à peine une, car qu’est-ce que l’Abîme silencieux pour l’esprit humain, si ce n’est pas le vide infini ? Cependant, sans plus se demander que Hegel comment de l’abstraction pure a pu sortir une réalité quelconque, Valentin va déduire ses éons de l’Abîme silencieux, à qui il attribue une fécondité mystérieuse, et les ranger conformément au mouvement interne de la pensée humaine.

Des germes déposés par l’Abîme dans le sein de Silence sort en premier lieu l’Intellect, principe de tous les êtres réels, et qui, à ce titre, peut s’appeler le Père. Lui seul comprend l’Abîme, et en lui seul les autres êtres peuvent le comprendre. Voilà pourquoi sa compagne, celle qui forme syzygie avec lui, s’appelle la Vérité. De ce couple divin, par le même procédé de génération, sortent le Verbe et la Vie, le Verbe exprimant ce dont l’Intellect a conscience et produisant avec sa compagne une nouvelle syzygie, qui est l’Homme, type idéal, et l’église, peut-être l’idée de la société humaine, sans laquelle l’homme reste infécond. Telle est la fameuse ogdoade ou huitaine valentinienne avec ses huit termes masculins et féminins. C’est elle qui tient la première place dans la vénération de l’école. Le Plérôme divin est pourtant bien loin d’être au complet. L’Intellect et la Vérité, voyant que le Verbe et la Vie étaient devenus productifs, font émaner de leur sein dix autres éons, sur quoi le Verbe et la Vie, voulant imiter leurs parens, en produisent encore douze, ce qui fait en tout trente. Les éons émanés de l’Intellect et de la Vérité sont en général les principes de la révélation et de l’activité divine extérieure, tandis que les douze qui proviennent du Verbe et de la Vie représentent ceux de la vie humaine spirituelle ; mais ce nombre trente, n’étant pas divisible par huit,