Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/1022

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pulaires avaient, dès l’origine, servi d’enveloppe à des vérités philosophiques de l’ordre le plus élevé, qu’il appartenait à quelques initiés de discerner, tandis que le vulgaire devait rester emprisonné dans la lettre des traditions religieuses. Déjà Platon avait dirigé les esprits dans ce sens. Les stoïciens et les néo-pythagoriciens usèrent largement de ce moyen de concilier leurs idées particulières avec la vieille mythologie. Les Juifs alexandrins en firent autant pour retrouver le platonisme dans l’Ancien Testament. L’interprétation allégorique fut la grande conciliatrice. De la sorte on parvenait sans trop de peine à tirer une même doctrine des poèmes homériques et des livres de la Genèse, et naturellement cette doctrine répondait aux questions que le platonisme et le pythagorisme du temps aimaient à se poser sur les rapports de Dieu et du monde, de l’esprit et de la matière, du bien et du mal. Une forte tendance au dualisme, cette abstraction suprême du polythéisme, par conséquent à l’idée de l’impureté de la matière ou d’un antagonisme absolu entre Dieu et le monde, prédominait dans ce mouvement confus, auquel participaient, nous le répétons, des Juifs et des païens, des Grecs et des Latins, et qui s’élevait ainsi, comme le christianisme, vers l’universalité, car il aspirait à tirer une vérité unique de l’amas des traditions divergentes.

Ce mouvement ne tarda pas à se rencontrer avec une religion nouvelle, universaliste, qui, grandissant tous les jours, tenait déjà une place considérable dans le monde. Chose de suprême importance pour les gnostiques, cette religion s’annonçait comme une délivrance, comme une rédemption, car à la question métaphysique de la gnose : « comment faut-il concevoir les rapports de Dieu et du monde, de l’esprit et de la matière ? » correspondait la question d’application immédiate : « comment l’âme, qui est esprit, parvient-elle à se délivrer des liens de la chair, qui est matière ? » Ce fut le côté par lequel le mouvement gnostique se souda au mouvement chrétien et faillit confisquer à son profit le prestige de l’Évangile. En réalité, l’ambition du gnosticisme était tout autre que celle de l’Évangile. L’Évangile n’a point de prétentions métaphysiques. Ramené à sa plus irréductible expression, sur la base du théisme spiritualiste, qu’il suppose évident pour la conscience religieuse, il prétend avant tout inspirer ce double amour de Dieu et des hommes qui doit élever le chrétien vers sa félicité suprême en l’élevant vers la perfection de Dieu lui-même. C’est donc à un intérêt avant tout religieux et moral, ce n’est pas à un intérêt philosophique qu’il satisfait. Le gnosticisme, au contraire, n’était qu’une métaphysique dualiste cherchant à se donner la forme d’une révélation. Les deux mouvemens pouvaient se côtoyer, se toucher.