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D’autres tinrent ferme, et même un jeune homme de la ville, de famille distinguée, du nom de Vettius Epagatus, qu’on n’avait pas arrêté, prit publiquement avec une noble imprudence la défense des accusés, ce qui lui valut peu après les honneurs du martyre. Malheureusement des esclaves et des parens des accusés, encore païens, vaincus par la torture, chargèrent les chrétiens des crimes inouïs que leur imputait le fanatisme populaire. Ceux-là même des habitans qui eussent incliné pour la tolérance devinrent fanatiques à l’égal des autres, et l’inquisition païenne redoubla de rigueur. Le gouverneur, de retour, approuva ce qu’on avait fait, mais voulut attendre, avant d’aller plus loin, les instructions de l’empereur régnant, Marc-Aurèle. Ce prince, stoïcien et vieux Romain dans l’âme, n’aimait pas les chrétiens, et au surplus il faut observer qu’à part deux ou trois exceptions ce ne furent pas précisément les mauvais empereurs qui persécutèrent les disciples du Christ. Il est clair que plus les empereurs romains prenaient au sérieux leur pouvoir et leur mission, plus ils se défiaient de cette église grandissante, qui était alors une école de liberté, posait, seule alors, à leur autorité certaines bornes infranchissables, menaçait de ruiner par la base la vieille société romaine, et semblait en vérité la revanche spirituelle que les vaincus, les Juifs et les Grecs, prenaient sur la conquête qui les avait annihilés temporellement. Les instructions arrivèrent de Rome sévères, inexorables, et des scènes épouvantables de cruauté raffinée vinrent donner satisfaction aux rancunes de la populace. Il se commit des choses hideuses qu’on ne peut pas décrire. Le vieux Pothin, accablé par l’âge et la souffrance, eut le bonheur d’échapper aux bourreaux : il mourut, à peu près asphyxié, dans la prison où l’on avait entassé les chrétiens arrêtés. Attale de Pergame, attaché sur une chaise d’airain rougie au feu, pendant que l’odeur de sa chair brûlée montait vers les spectateurs qui remplissaient l’amphithéâtre [1], rassembla ses forces expirantes pour leur crier dans un dernier rugissement : « C’est vous qui êtes les anthropophages ! » Parmi les martyrs qui déployèrent le plus d’héroïsme, on distingue l’idéale figure d’une jeune Gauloise, Blandina. Elle était au service d’une matrone chrétienne. Débile et frêle de corps, elle lassa les tortionnaires. C’est elle qui par son exemple et ses douces paroles aidait à mourir fidèle à sa conscience un pauvre enfant que la barbarie des persécuteurs avait compris dans les poursuites. Chose étrange, lorsqu’on l’ex-

  1. Il résulte pour nous d’une obligeante communication venue de Lyon même que l’on pense avoir retrouvé les traces de cet amphithéâtre sous le sol de l’ancien jardin des Plantes, entre les deux rivières, sur la pente du coteau qui relie la Croix-Rousse à Lyon.