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de la république orientale ; mais elle ne peut dire qu’elle soutient le même principe contre l’état du Paraguay, qui n’a jamais eu de révolution à traverser. En tout cas, il est certain que dans le conflit actuel ce sont les républiques hispano-américaines qui défendent la dignité du travail, le droit à la propriété du sol, la fraternité des races, la liberté des cultes, le respect des colons étrangers. D’un côté, l’esclavage des noirs règne encore dans toute sa laideur, et la société reste divisée en classes ennemies : de l’autre côté, les habitans, d’origine diverse, sont tous devenus des hommes libres et se fondent graduellement en un même peuple. Au Brésil, les crises intérieures par lesquelles toute nation doit passer pour se constituer définitivement ne sont point encore accomplies ; dans les républiques limitrophes, ces crises sont déjà presque terminées. Les sociétés hispano-américaines marchent à l’unité, tandis que les populations brésiliennes sont entraînées vers une désorganisation sociale et politique par le régime de l’esclavage et des grandes propriétés domaniales. Quelles que soient les péripéties de la lutte, et dût même la Bande-Orientale être conquise pour un temps, il n’y a donc pas lieu de craindre que dans le continent du sud l’empire esclavagiste soit plus heureux que ne l’ont été les états confédérés dans le continent du nord. Après cette guerre de titans dont le résultat final sera le triomphe de la liberté dans les États-Unis, le débile empire du sud n’aura point la triste gloire de rétablir l’esclavage sur les bords de la Plata. Le Brésil n’imposera point ses institutions aux pays voisins, mais au contraire il les perdra lui-même pour se régénérer, et la guerre qui sévit dans l’Uruguay sera probablement le premier acte du grand drame. De leur côté, les républiques de la Plata, favorisées entra toutes les contrées de l’Amérique, continueront de développer leurs richesses et leurs élémens de civilisation, elles deviendront de plus en plus une patrie commune appartenant à l’humanité tout entière, et, réunies un jour à leurs sœurs les autres républiques latines, elles pourront enfin jouer un rôle non moins grand que celui des états anglo-saxons de l’Amérique du Nord. En prévision de cette destinée, qu’elles sachent s’en rendre dignes.

Élisée Reclus.