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société et l’aube sanglante d’un ordre nouveau ! Et de même, sous un autre aspect, pour que ce roi, celui de tous les rois « qui a le moins mérité ses malheurs, » selon le mot de Mirabeau, pour que cette reine, la moins faite pour susciter la colère et la haine, pour que cette princesse Elisabeth, nature simple, naïvement originale et familièrement abrupte, sorte de duc de Bourgogne féminin, pour que ces têtes royales aient pu voir fondre sur elles dans un jour sinistre l’orage des expiations, que d’erreurs et de fautes ont dû être commises par cette monarchie séculaire ! Que de dégradations insensibles ou choquantes de la royauté ! Comptez un instant ce que ce triple supplice représente d’avilissemens et d’excès, qui ne passent d’abord impunis que pour retomber de tout leur poids sur ceux qui en furent le plus innocens !

C’est là certes, à tout prendre, la fatalité de la révolution française, une de ces fatalités qui semblent ne tenir leur puissance que d’elles-mêmes ou de je ne sais quelle source, mystérieuse, et qui la tiennent en réalité de tout un ensemble de circonstances, de tout un passé, qui deviennent à un certain moment irrésistibles parce que toutes les volontés s’en font les complices, parce que tout le monde s’acharne à les précipiter, ceux-ci par leurs résistances, ceux-là par leurs emportemens, d’autres par leurs mortelles indécisions. À cette lumière, les événemens s’éclaircissent, le drame se coordonne ; la révolution française devient la grande mêlée où s’entre-choquent deux sociétés, dont l’une est destinée à périr vaincue, décimée, broyée, — et la victime expiatoire entre toutes, c’est le roi sans doute, mais c’est encore plus la reine, cette reine dont la vie s’ouvre comme une fête pour finir comme une lugubre et poignante tragédie, qui met trente ans à s’acheminer à travers l’éclat du règne vers un échafaud, et dont l’âme grandit et s’élève avec le péril. La monarchie a recommencé depuis, d’autres sont venus et ont voulu renouer les traditions anciennes ; ils n’ont été que les hôtes passagers des Tuileries. La dernière vraie reine, j’allais dire le dernier roi selon l’idée ancienne, c’est Marie-Antoinette. Elle emporte avec elle la grâce et le prestige souverain de la majesté royale. Mme Roland triomphe jusque dans la mort et laisse sa classe victorieuse. Marie-Antoinette est la personnification émouvante d’une royauté qui finit, et, femme, elle garde vraiment comme une vague ressemblance avec ce Charles Ier de Van Dick : elle en a la délicate fierté, la secrète et douloureuse fascination, les perplexités et les angoisses voilées d’une finesse élégante, ce je ne sais quoi de romanesque et de fatal attaché aux grandes victimes qui sont vaincues par la force des choses, et qui, après avoir lutté jusqu’au bout, se réfugient dans l’héroïsme devant la mort.

L’histoire a vu passer plus d’une fois de ces victimes illustres sur