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ou, pour parler plus exactement, du sud-ouest de l’Asie et des vallées de l’Oxus, ont été continuellement traversés par trois systèmes philosophiques, celui de la création, celui de l’émanation, et l’athéisme. Par la négation absolue, non-seulement de Dieu, mais de tout objet spirituel, l’athéisme n’a jamais exercé aucune influence sur les dogmes religieux, ne s’y est mêlé dans aucune proportion et n’a modifié en rien ni l’idée de Dieu, ni le rite. Qu’il apparaisse au sein des anciennes religions ou dans les sociétés modernes, dans l’antiquité c’est par sa théorie négative qu’il se sépare des croyances publiques ; chez les modernes, c’est surtout par l’immoralité de ses conséquences. Chez les anciens, un athée était considéré comme un homme qui se trompe ; aujourd’hui il serait honteux d’être athée. De toute manière, l’athéisme et les doctrines qui l’engendrent n’ont jamais pu exercer aucune action directe sur la marche des religions, ni leur prêter aucun secours. Une répulsion presque universelle, voilà ce qu’ils ont toujours rencontré dans les sociétés religieuses où ils se sont fait jour. Il n’en est pas de même des deux autres systèmes philosophiques, celui de la création et le panthéisme. L’un et l’autre ont suffi pour animer de grandes religions dans le sein desquelles ils se sont librement développés. De plus, comme ils ne sont pas de tout point incompatibles, l’histoire nous montre d’une part des religions fondées sur le système de la création, vivifiées dans quelques-unes de leurs parties par des doctrines empruntées à des systèmes panthéistes, et de l’autre des peuples entiers, qui, avaient été nourris dans une religion panthéiste, recevant du dehors des doctrines issues de l’idée de création. Ainsi non-seulement les religions successives se sont en partie fondues les unes dans les autres, mais les deux grandes voies qu’elles ont suivies ont eu des points de rencontre où leurs systèmes métaphysiques se sont rapprochés.

La science a constaté que la tendance originelle des peuples aryens est le panthéisme, tandis que le monothéisme proprement dit est la doctrine constante des populations sémitiques[1]. Voilà bien les deux grands lits où coulent les deux fleuves sacrés de l’humanité, mais les faits nous montrent en Occident des peuples d’origine aryenne en quelque sorte sémitisés par le christianisme : toute l’Europe est à la fois aryenne et chrétienne, c’est-à-dire panthéiste à son origine et par ses dispositions naturelles, mais habituée par une religion venue des Sémites à admettre le dogme de la création. Ce fait, que la science a mis hors de toute contestation, n’a été qu’entrevu par M. le docteur Philipson dans son Histoire de l’idée

  1. Voyez l’Histoire des langues sémitiques de M. Renan.