Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/982

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce mouvement significatif, nous le retrouverions dans tous les états civilisés, en Italie, en Belgique, en Hollande, en Russie, même dans les Indes. Je ne fais que le signaler, une des tâches de nos professeurs sera de l’approfondir. Il y aurait grand profit à dégager de cet enseignement extérieur tout ce qui peut servir à l’avancement du nôtre, à rechercher, par exemple, en quoi les méthodes positives de l’Angleterre se séparent des spéculations inconsidérées de l’Allemagne, et ce que nous avons emprunté ou fourni à l’une et à l’autre. Cet enseignement comparé serait une nouveauté, et il n’y a pas à insister sur ce qu’il aurait d’utile.

Nous n’aurions point à souffrir du rapprochement ; nous avons peu de maîtres, mais ils se survivent dans leurs écrits, ils se survivent aussi dans quelques hommes éminens qui ont accepté et enrichi leur héritage. La science qui est sortie de là est des mieux constituées ; elle a, au plus haut point, le mérite et le caractère de notre langue, que toutes les diplomaties ont adoptée parce qu’elle est la plus précise qui existe, celle qui dit le mieux et en moins de termes ce qu’il faut dire, sans obscurités comme sans équivoques. Parmi les autorités dont les noms ont franchi nos frontières, nous comptons, parmi les morts, Jean-Baptiste Say et Rossi, et n’avons à nous incliner que devant le nom d’Adam Smith. Quand on a de tels titres pour soi, une infériorité de nombre n’est qu’un accident qui se répare. Nos modèles sous les yeux, nous aurions bientôt regagné le terrain que des préventions obstinées nous avaient fait perdre. L’état des esprits y aide ; il s’est fait sur eux, dans la seule chaire maintenue et hors des chaires par la publicité, un travail d’éducation dont les résultats sont sensibles. Beaucoup de sympathies sont acquises, le goût se prononce, la bienveillance est le sentiment qui domine. Les faits concourent à ce travail des esprits ; ils ont une éloquence qui subjugue mieux que les apologies. Jamais terrain ne fut mieux préparé. L’heure est donc bonne pour faire de l’économie politique sérieuse, de pure doctrine, se renfermant dans ses cadres, se dégageant des superfluités, laissant une empreinte qui la mette à l’abri des vicissitudes de l’opinion. À cette économie politique, il ne faut demander ni ce qu’elle sera ni de quel côté elle portera son influence ; nulle science ne renferme dans son nom et dans l’objet qu’elle se propose des garanties plus sûres et plus évidentes. Elle provient de la liberté et y aboutit. Elle ne pourrait, sans se démentir, en déserter le principe, ni en décliner les conséquences dans tout le domaine où il lui reste des conquêtes à faire et des revendications à exercer.


Louis REYBAUD.