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pas à tout propos et au premier signe sortir du sanctuaire. Leur place est dans des chaires officielles ou libres, mais spéciales. Hors de là, elles sont exposées ou aux surprises des intérêts ou aux aventures de la parole. Qui profite à ces exhibitions mondaines ? Le public ? Il n’emporte que des notions superficielles qui s’effacent dès le lendemain, et faussent parfois son esprit plus qu’elles ne l’éclairent. Les maîtres ? Ils ne se font applaudir qu’aux dépens de leur gravité, et en cherchant à plaire au lieu d’instruire. Ces succès de curiosité sont peu compatibles avec l’économie politique ; elle n’y pourrait viser qu’en se dénaturant ; elle courrait le risque d’être délaissée après une période de vogue.

À diverses reprises, il est vrai, on a essayé d’en faire une science d’agrément et dépensé beaucoup d’esprit à cette gageure. Le premier essai remonte loin. Dans le courant du siècle dernier, il y avait à Paris un abbé napolitain, nommé Galiani, qui mit le commerce des grains en dialogue, et dont le livre eut un très grand débit. C’était, comme doctrine, sujet à réfutation. Avec les économistes formés dans l’entre-sol de Quesnay, l’abbé Galiani ramenait toute activité et toute richesse aux produits de la terre ; mais, s’il était d’accord sur le fond avec le reste du groupe, il en différait par la manière. La sienne est des plus originales. Il semble se jouer des sujets qu’il traite, et par momens on est tenté de se demander si ses adhésions ne renferment pas un peu d’ironie. C’est de l’économie politique pittoresque ; la forme était trouvée : Galiani y avait montré de l’esprit, Voltaire y mit son génie, seulement il l’employa mal. Quel morceau écrit de verve que son Homme aux quarante écus ! Et pourtant cet homme et ses interlocuteurs déraisonnent à perte de vue, ils prennent le contre-pied d’une foule de vérités qu’on ne conteste plus et débitent avec assurance des énormités qu’aujourd’hui un écolier relèverait, par exemple que l’or et l’argent sont le premier et le dernier mot de la richesse d’un peuple, que sa misère provient des emprunts faits au dehors pour ses jouissances ou ses besoins, et que cette misère empirera, si on continue à se ruiner en tabac, café, thé, chocolat et épiceries ! C’est là de l’économie politique à rebours jetée dans un moule incomparable. Avec Voltaire, rien n’est complètement faux ni complètement vrai : quand il va trop loin et s’égare, l’instinct le ramène presque à son insu ; il se relève par un trait qui frappe, un mot qui porte, et tout cela dans une langue, avec un accent de raillerie qui n’ont plus été retrouvés.

Plus près de nous et dans la sphère spéciale de l’économie politique, le genre a été repris et rajeuni. Bastiat par exemple ne se trompait pas d’adresse, il savait où porter ses défis. Prompt à croiser le fer, il a eu de bons jours d’escrime. Son jeu était serré, conforme aux règles des maîtres ; il y ajoutait sa souplesse, sa vigueur,