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avec la même autorité. À aucun de ces degrés, le produit matériel ne lui échappe ; ce n’est pas un incident, mais la raison d’être de la science. Sa compétence est toujours indiscutable et sa doctrine toujours susceptible d’application. En est-il de même pour le produit immatériel ? Nullement. L’économie politique n’a rien à voir dans la manière dont il se forme, point de conseil à donner, si ce n’est ceux de la raison commune ; elle n’a pas de voix légitime dans les études de droit, de médecine, d’art théâtral. La voilà déjà désintéressée pour les origines du produit immatériel. Quand il est formé, alors seulement elle s’en empare malgré lui et en l’humiliant. Elle aperçoit là des services rendus et une valeur affectée à ces services. C’est un moment fugitif, elle le saisit et range le produit immatériel au nombre de ses ressortissans. Que va-t-elle faire pour lui ? Lui enseignera-t-elle comment la justice se distribue, comment la médecine se pratique, quel emploi judicieux l’avocat peut faire de sa parole, l’artiste de sa voix ? Non : elle abandonne à mi-chemin le produit immatériel, tandis qu’elle a suivi jusqu’au bout le produit matériel. Autant elle est à l’aise avec le second, autant elle est mal à l’aise avec le premier. Elle voit que, là ses lois portent à faux. L’échange n’a pas de sens, le crédit, le capital ne sont que des généralités superficielles. Il n’y a plus ni continuité d’influence, ni équivalence de besoin. Était-ce la peine d’enrégimenter des sujets rebelles sur lesquels elle devait si peu agir ?

Insister sur ces goûts d’usurpation, c’est découvrir une des faiblesses les mieux accusées de l’école actuelle. On pourrait en multiplier les exemples. N’a-t-on pas dans son sein mis à l’étude la question de savoir si le droit commercial ne gagnerait pas à se confondre dans le droit civil, et s’il n’y aurait pas avantage à convertir les deux codes en un seul ? Heureusement il s’est trouvé là des jurisconsultes pour répondre que ni les justiciables, ni la justice ne se trouveraient bien de cette promiscuité. Ils auraient pu ajouter que la science dont le nom est inséparable de la division du travail ne saurait être infidèle à son principe, ni en répudier la vertu, à quelque objet qu’il s’applique. C’était un point de doctrine à rappeler ; le surplus de la question allait à une autre adresse. Dans des cas plus isolés, l’algèbre est mise à contribution par des initiés qui se détachent du groupe principal et vont jusqu’au schisme. La langue de l’économie politique ne leur paraissant pas assez rigoureuse, ils la mettent en équations. De là une série de formules pour la richesse des nations et des individus, pour le produit brut et le produit net, pour l’unité et la généralité des existences, pour le capital et le revenu. Qui sera juge de l’exactitude de ces équations ? Beaucoup d’économistes y seraient