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ni d’opinions évasives. Il va au cœur des difficultés et les met en pleine lumière ; quelquefois il y apporte des solutions ; quand il a des doutes, il les exprime. Il ne veut pas triompher sur des ruines, mais il lui répugne également de donner pour des vérités démontrées ce qui a besoin d’être soumis à des vérifications nouvelles. C’est ainsi qu’il reprend, les autorités en main, les thèmes que chacune d’elles a mis en crédit : avec Adam Smith la division du travail, avec Say la théorie des débouchés, avec Ricardo la rente du sol, avec Tooke le jeu des prix, avec Sismondi le régime de l’industrie, avec Malthus la loi d’équilibre entre la population et les subsistances. Dans ce cadre, l’économie politique se résume dans ses principaux traits et sous les auspices de ses plus grands noms ; en quelques chapitres, on en aura la substance, le corps et l’esprit. Rossi n’expose pas seulement les systèmes, il les anime et les orne. Chaque auteur a ses défaillances, Smith des longueurs, Ricardo un penchant pour l’abstrait, Sismondi des abus de sentiment, Malthus l’ivresse de ses alarmes ; il y a chez eux des prolixités, des manques de proportion, parfois une absence de style. Ces imperfections disparaissent dans les commentaires que Rossi en donne. Il élague, corrige, éclaircit, tempère et ne traduit les idées d’autrui dans sa langue saine et concise qu’après les avoir fait passer au crible de son goût, Toutes y gagnent, même celles qu’il combat, et dans ces combats, quand il les livre, les armes courtoises sont les seules à son usage. On a quelquefois cherché où est l’originalité de Rossi ; elle est là, dans cette vie qu’il communique à ce qu’il touche, dans cette valeur qu’il ajoute à ce qu’il expose, commente et rend accessible aux intelligences. Traiter les sujets ainsi, c’est les marquer d’une nouvelle empreinte et en réalité se les approprier.

S’il a péché en quelque point, c’est, à mon sens, dans trop de condescendance pour quelques-uns de ces systèmes qu’il expliquait en les décorant. Tel est le cas pour Ricardo et Malthus. La prétention de Ricardo était de prouver que la valeur des choses ne se compose que du prix qu’elles ont coûté, et que le fermage n’entre pour rien dans le prix des produits obtenus du sol. Dans des termes aussi simples, la proposition ne soutenait pas l’examen ; mais l’auteur l’avait enveloppée de tels nuages qu’il avait fait école. Ce que signifiait cette métaphysique, subtile, les discussions sur les lois des céréales nous l’ont appris plus tard ; elle était une défense déguisée de la constitution de la propriété territoriale en Angleterre, avec tous les privilèges qui alors y étaient inhérens. Malgré Ricardo, une partie de ces privilèges a succombé dans la grande agitation de la liberté du commerce, et il n’est plus guère question de la rente du sol, comme on l’appelle, depuis qu’elle est rentrée dans le droit commun.