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seul arbitre, le ministre ne prit plus conseil que de ses préférences, et le 15 août 1833 nomma Rossi à la chaire du Collège de France. On peut dire aujourd’hui qu’il eut la main heureuse. L’élection fut pourtant mal prise au moment où elle eut lieu ; il s’y était mêlé un peu de passion politique : Rossi passait dans la jeunesse des écoles pour une créature du gouvernement, et c’en était assez pour le condamner sans l’entendre. Des meneurs se mirent de la partie, et l’effervescence eut bientôt gagné tout le pays latin. On allait répétant de café en café que c’était le cas de monter une cabale contre cet intrus, dont la nomination était le produit d’une intrigue. De leur côté, les journaux ne s’épargnaient pas et attisaient de leur mieux le feu qui couvait. Ce travail de dénigrement eut tout l’effet qu’on en pouvait attendre. Quand pour la première fois Rossi parut dans sa chaire, un tumulte affreux éclata sur les bancs. Des précautions avaient été prises, elles furent vaines. Tout ce qu’il y avait de plus turbulent dans les écoles s’était donné rendez-vous dans l’enceinte, avec la résolution de conduire vivement cette campagne contre l’étranger. Pas un ne manqua à sa consigne. Rossi prononçait-il une phrase, on la répétait en contrefaisant son accent italien ; essayait-il de poursuivre, les apostrophes pleuvaient de tous côtés. Tant qu’il le put, il tint tête à l’orage ; mais, le désordre empirant, il fallut avoir recours à la force armée. Quelques arrestations eurent lieu, la salle fut évacuée. Le cours dut être suspendu pendant quelque temps. À peu de mois de là, le professeur prit la seule revanche qui fût digne de lui : il remonta dans sa chaire avec la volonté d’en faire la police lui-même. L’heure matinale, choisie pour l’ouverture du cours n’appelait autour de lui qu’un auditoire véritablement studieux. Son maintien et son geste commandèrent le silence, et il put commencer cette belle suite de leçons qui resteront comme l’un des ouvrages classiques de la science économique. Dès les premières phrases, l’auditoire était dompté ; l’homme avait donné la mesure de sa force, la malveillance était désarmée, Triste exemple des conséquences que peuvent avoir ces turbulences juvéniles ! Moins ferme, moins sûr de lui-même, Rossi eût peut-être renoncé à l’enseignement et ne l’eût pas honoré par ses services.

N’eût-on vu Rossi qu’une fois sur son siège de professeur, on s’expliquera l’ascendant qu’il exerçait sur son auditoire. Il avait une dignité naturelle, relevée par un art d’autant plus consommé qu’il était moins apparente Son profil sévère, son geste sobre et juste, sa voix bien timbrée, contribuaient à cette autorité extérieure qui désarma les premières préventions et dès lors ne fléchit plus. Il parlait lentement ; comme s’il se fût recueilli pour trouver les termes qui rendaient le mieux sa pensée ou pour laisser au public le temps de