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Comment se reconnaître au milieu de ces économies politiques partielles, se transformant, comme un objet de mode, à chaque frontière ? Quelle meilleure arme donner aux défenseurs d’un système d’isolement ? N’était-ce pas d’ailleurs une inconséquence de demander l’échange des produits en prêchant le séquestre des doctrines ? Il n’y a pas à insister là-dessus ; l’écart est trop flagrant et n’a pas été partagé. Sur ce point, Blanqui a été seul de son école. Il a eu souvent de ces emportemens irréfléchis, et son autorité en a souffert. C’était pourtant un vaillant champion qui, en se contenant mieux, fût devenu un maître. Il charmait sans convaincre et ne laissait dans les esprits qu’une trace superficielle. Sa vie était si occupée que sa chaire n’en était qu’un incident. Il n’y apporta pas toujours une préparation suffisante ; il se contentait des ressources d’un esprit orné, d’une expérience acquise dans de fréquens voyages. Peut-être croyait-il ainsi rester mieux à la portée de son public. Dans son Histoire de l’Économie politique, qui lui ouvrit les portes de l’Institut, il a un autre accent et plus de profondeur avec la même verve, Quant à ses cours, ils sont restés, comme on l’a vu, en canevas.

Cependant l’enseignement dogmatique, un peu négligé au Conservatoire, avait retrouvé à point nommé, dans une autre chaire, sa vigueur et son éclat. Depuis la mort de Say, survenue en 1832, une vacance était ouverte au Collège de France. La succession avait du prix et fut longtemps disputée. Les chances se partageaient entre un héritier naturel et un héritier bénéficiaire. L’un était Charles Comte, gendre de Say, connu par de bons travaux de législation et alors secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques ; l’autre était Rossi, que son Traité du droit pénal avait rangé parmi nos meilleurs criminalistes. Aucun d’eux n’avait des titres directs ; mais on savait bien ce qu’on pouvait attendre d’esprits aussi cultivés. Pour Comte, l’économie, politique était une tradition de famille ; pour Rossi, c’était une étude commencée en Italie, où il était né, achevée en Suisse dans le recueillement de l’exil. La compétition dura près d’un an ; Comte avait pour lui les avantages de la position et de la nationalité, Rossi des amitiés puissantes qu’il devait à un mérite prouvé et à un plus grand mérite entrevu. Jusqu’au bout, le choix resta en balance. Les nominations au Collège de France sont faites par le ministre de l’instruction publique, sur la présentation d’un ou de deux candidats élus, l’un par les professeurs du collège, l’autre par l’Académie des sciences morales et politiques. Les votes des professeurs au Collège de France se portèrent sur Rossi, l’Académie choisit pour candidat Charles Comte, son secrétaire perpétuel. En face de deux présentations qui le laissaient