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qu’elle se sent plus sûre et plus contente d’elle-même. En même temps cette réciprocité des intérêts a amené entre les états de meilleurs rapports, apaisé de vieux dissentimens et diminué les occasions de choc, qui naissent du contraste de leurs génies.

Ces changemens, où l’influence de l’économie politique est manifeste, lui ont valu des lettres de naturalisation ; elle a désormais une voix dans l’administration de la fortune de la France. Entrée si avant dans les faits, il ne lui restait qu’à s’introduire à titre égal dans l’enseignement. Sa réhabilitation, pour être entière, devait s’étendre des actes aux principes. C’est ce qu’a pensé le ministre de l’instruction publique, et sur sa proposition un décret du 17 septembre 1864 a créé une chaire d’économie politique à la faculté de droit de Paris. M. Batbie en est le professeur titulaire. De son côté, le ministre du commerce s’est associé à ce retour de justice par une réparation qui lui fait honneur. Il y avait eu, en 1852, au Conservatoire des arts et métiers, un changement d’attributions qui ressemblait à une disgrâce pour l’économie politique. On l’avait frappée par prétention, on avait dénaturé une chaire en vue de l’exclure. Un décret du 26 octobre rétablit le nom de la science dans le programme des cours ; M. Wolowski est désigné pour la professer. Voilà donc deux chaires, l’une créée, l’autre restaurée, de date récente et dignement remplies. Ce sont là des gages très significatifs, et pour les donner il a fallu un certain courage. On va s’en convaincre par le récit des vicissitudes qu’a essuyées l’enseignement économique. Ce récit aura pour objet de montrer une fois de plus les résistances que rencontrent les vérités qui s’attaquent à des intérêts établis, puis de suivre dans cette tâche ingrate les hommes qui s’y sont dévoués, il y a toujours profit pour une science à bien fixer ses traditions, et les meilleures se rattachent aux époques militantes. Nous allons passer en revue ces commencemens, marquer en traits rapides ce que fut, quel sillon traça la première génération de professeurs. Nous ne parlerons que des morts qui ont ouvert les portes à ceux qu’on applaudit aujourd’hui. Nous dirons ensuite ce que doit être à notre sens et au temps où nous sommes l’enseignement économique pour pénétrer plus avant dans les esprits et seconder le mouvement d’opinion qui se prononce en sa faveur.


I

Tant que dura le premier empire, une science qui se fonde sur la liberté des rapports n’avait guère de chances d’être écoutée. La mettre à l’index entrait dans les plans d’une politique qui au dehors s’isolait de ce qu’elle n’absorbait pas, et au dedans étendait