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le commerce spirituel. La sympathie tient lieu de la mutuelle intelligence.

Souvent une grande distance sépare des personnes qui paraissent sentir ensemble et tenir le même langage. Une persuasion commune peut unir en apparence deux états d’esprit très différens, et reposer chez des individus divers sur des idées ou des raisons qui ne se ressemblent guère. Les exigeans ne savent pas assez à quel point d’autres sont faciles à contentée. L’esprit humain est certainement admirable ; du moins s’admire-t-il beaucoup, et provisoirement il n’a pas de juge plus compétent de lui-même que lui-même. Cependant il ne devrait jamais oublier avec quelle facilité il se paie de mots et s’accommode de mauvaises raisons. De là tant de préjugés, d’illusions, de non-sens. Nul besoin pour s’en convaincre de sortir du champ de l’expérience de tous les jours. Laissez parler un paysan sur les causes d’une bonne ou d’une mauvaise récolte, sur les phénomènes les plus simples de la végétation, sur les succès ou les revers d’un nouveau système de culture ; il vous prodiguera des théories et des hypothèses extravagantes, et sur des faits qui ne dépassent point le cercle de son observation, il affirmera ce que ne justifie aucune expérience, et alléguera des choses impossibles, comme s’il les avait vues. Si vous vous entretenez avec quelqu’un d’entièrement étranger aux élémens de la chimie, vous lui trouverez sur les changemens que les corps éprouvent tous les jours sous ses yeux les idées les plus étranges, des croyances magiques qui ressemblent à la transformation des métaux, à la création des substances de toutes pièces. Écoutez la plupart des parens raisonner sur la santé de leur enfant ou même chacun parler de la sienne ; que de théories chimériques, que d’affirmations de faits qu’on n’a jamais aperçus ou de substances qui n’ont jamais existé ! Ainsi, touchant les choses les plus usuelles, la fiction s’introduit d’elle-même dans la croyance et le savoir vulgaires. Le simple sens commun est accessible en toutes matières à des erreurs sans aucune vraisemblance, et s’entête à des fables. C’est un sujet de continuel étonnement que le peu de valeur des motifs qui déterminent une bonne part de nos opinions, et quelquefois nos actions les plus importantes. Nous acceptons sans choix des maximes dont le pour et le contre sont également plausibles. Notre curiosité demande beaucoup et se contente de peu. Les peuples qui commencent s’en tiennent aux explications puériles ou fabuleuses que leur donnent les premiers sages, et je sais plus d’une nation fort avancée qui ne se montre pas beaucoup plus difficile. Les hommes destinés à dominer les autres le savent bien, et ils exploitent à plaisir notre paresse d’esprit, car, bien que la seule influence légitime soit celle qui