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qui serait doctrine aussi hasardée qu’elle est dure, l’expérience d’une âme croyante, pleine de commisération et de sympathie peut le raconter comme un fait compensateur et nous rappeler que les ennuis du monde font aspirer aux joies éternelles. « Cette immense distance qui s’étend entre le paradis et notre cœur, il n’y a guère que les désespérés pour la franchir. » Et l’on devine quelle peinture le talent saura faire de l’état d’une âme amenée à Dieu par la souffrance, et de cet ineffable commerce à travers l’invisible entre le cœur et Jésus-Christ. L’image en a mille fois été tracée, elle le sera encore à l’infini. Tant que durera ce que Platon eût appelé le mystère de la réminiscence et de l’amour, les intelligences à qui la foi représente l’inconnu, sauront, pour peu que le talent ne leur fasse pas défaut, prêter aux souvenirs de leurs saintes émotions le charme et la puissance des idées auxquelles le cœur donne sa vérité et l’imagination sa parure.


II

Et maintenant faut-il nous en tenir là ? Analyser un livre, définir une manière, louer le talent, aimer le cœur d’un écrivain et rien de plus, cela suffit-il quand cet écrivain, guidé par un sentiment moral élevé et une compassion intelligente, s’est constamment proposé de toucher et de diriger les âmes, et de dire, sans cesser de plaire, des vérités qui les redressent ou les raffermissent ? Faut-il, se bornant à de vains éloges littéraires, traiter son livre comme un simple ouvrage d’esprit, ou laisser croire à l’auteur qu’il a tout accompli, tout emporté, et qu’il est si complètement victorieux sur le fond que la forme seule importe ? Cette brillante broderie n’est-elle qu’un voile précieux et transparent jeté sur l’évidence même, et pour avoir obtenu une description sincère et subtile des tristesses humaines, le procès de la douleur est-il instruit, le remède au mal est-il trouvé ? J’en doute, et un dernier hommage au plus noble, au plus charmant esprit sera la sincérité de le dire.

Rien de plus respectable que la pensée qui respire dans de tels écrits. Cependant, nous l’avons vu, il s’y agit du bonheur encore plus que de la vertu, et moins encore du bonheur que de son contraire : c’est au malheur qu’on en veut. La douleur court à travers la vie. Elle torture le cœur, elle bouleverse l’esprit. Comment apaiser le mal de la souffrance et l’anxiété du doute ? Voilà la question.

Je le déclare en toute franchise aux théologiens comme aux philosophes, aux prédicateurs comme aux moralistes, à tous ceux qui se sont exercés sur la question, ils ne me l’ont pas résolue. Ils