Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/894

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il vient de l’invisible, l’invisible, qui n’est ici-bas représenté que par la lumière, seule apparence de ce qui n’apparaît pas. Et pourquoi, si la vue ne va pas jusque-là, l’imagination, qui la dépasse, qui ajoute au souvenir, embellit l’expérience, figure l’inconnu, ne pénétrerait-elle pas dans l’enceinte interdite aux regards, et n’atteindrait-elle pas les horizons célestes qui ne se voient pas de la terre ? Aux âmes chrétiennes il semble que l’infini soit ouvert, et c’est là que l’aventureux guide a conduit les intelligences faites pour le suivre. Revenue d’un essor si hardi, quelque peu lasse d’une course si lointaine, la pensée s’éprend du repos, et comme, après avoir le matin gravi les hauts sommets argentés par le soleil, le chasseur des Alpes s’assied à la lumière plus douce de l’astre qui décline, l’âme voyageuse de l’écrivain rêveur a ramené sa vue sur les splendeurs encore vives du jour qui va devenir le soir. L’ardeur de la jeunesse, enfuyant, laisse l’imagination moins exigeante, mais la sensibilité plus tendre, et Vesper a signalé cette nouvelle phase du talent et de la vie. Des récits doux et variés, tableaux de genre finement et poétiquement dessinés, où les petites proportions du cadre n’excluent pas la grandeur des pensées, nous ont ramenés dans le cercle où l’observation est possible sans exclure le songe et le merveilleux, car on a beau faire, la foi peut être puritaine, l’âme est romanesque, et ce n’est pas précisément la réalité des choses, telle qu’il faut bien la connaître et la voir, que nous chercherons dans les esquisses d’une femme qui désire passionnément que la sagesse attendrisse et plaise et que la vérité soit charmante. Jamais on n’a porté plus de séduction dans le sérieux ni déployé plus de coquetterie pour le bon motif.

Il restait à oser toucher de plus près aux choses ingrates de la vie, à s’approcher résolument de ce qui assombrit et glace l’imagination, car, eût-on pu dire à l’aimable écrivain, tout cela est un peu trop beau, et votre talent est un enjôleur. Vainement avez-vous sous mille formes diverses représenté l’humanité aux prises avec les épreuves de sa nature et de sa condition ; vainement l’aurez-vous montrée heureuse de trouver presque sans le chercher un appui dans ce je ne sais quoi de divin qui sort des choses et ramène à Dieu par le monde même. Toutes ces situations heureusement inventées, toutes ces impressions habilement saisies, tous ces spectacles savamment peints, toutes ces scènes simples, vulgaires, grandioses, tragiques, fantastiques, ne sont que les conceptions arbitraires d’un esprit inventif. Vous avez mis les êtres que vous avez voulus dans les sentimens que vous avez choisis, dans les circonstances que vous avez rêvées. C’est ingénieux, émouvant, éblouissant, quelquefois subtil et artificiel, en tout cas fictif et supposé. Ces