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que présentait en 1852 la province de Victoria. Il fallut une constitution de fer aux hommes qui, ayant pris part à cette existence dévorante, s’en retirèrent quelques années plus tard sans s’être ruiné la santé par l’abus des liqueurs fortes ou rendus fous par les émotions incessantes des diggings.

Les objets de première nécessité et surtout les matières de consommation quotidienne oscillaient entre deux et quatre fois leur valeur habituelle, suivant que les arrivages par mer étaient plus ou moins abondans. C’est ainsi que la farine fut payée à Melbourne même 1 franc le kilogramme, le foin 50 francs les 100 kilogrammes, un chou 3 francs la pièce. Les gages des serviteurs et ouvriers se maintinrent pendant longtemps au taux de 80 francs par semaine. Tout progressait à la fois, et chacun, à quelque occupation qu’il fût adonné, reçut sa part de ces richesses soudaines. On citait comme un exemple remarquable entre autres de fortune subite un ancien soldat qui, s’étant retiré peu d’années auparavant aux environs de Melbourne, avait consacré toutes ses économies, une somme de 2,500 francs, à l’achat de 40 hectares de terre. Deux ans après la découverte de l’or, il revendait pour 3 millions de francs ce même lot de terrain enclavé dans les agrandissemens de la nouvelle ville. Des spéculateurs américains, qui avaient expédié en Australie par cargaisons entières les outils et les machines dont on fait usage pour le travail des mines, réalisèrent tout de suite des bénéfices inouïs. Il en fut de même des artisans en bois et en fer qui se livrèrent aussi à la fabrication de ces instrumens. Il y eut un moment où ces ouvriers, ainsi que les charpentiers et maçons, se faisaient payer jusqu’à 50 francs par jour. La main-d’œuvre était alors à un taux si élevé et l’attraction exercée par les mines était si puissante, que les capitaines de navires marchands mouillaient à plusieurs milles au large dans la baie, afin de prévenir la désertion de leurs équipages.

Sur les lieux mêmes où l’on récoltait l’or, la crise fut encore plus grave. Ce n’est pas un fait ordinaire que de voir 50,000 individus s’entasser, comme il advint à Bendigo, dans un ravin qui était désert la veille, à 200 kilomètres de la capitale, sans voies de communication d’aucune sorte. C’étaient, entre Melbourne et les champs d’or, des files interminables de chariots attelés de vingt bœufs et souvent arrêtés en chemin par les difficultés du terrain, et cependant, les convois étant quelquefois en retard, la nourriture se payait au poids de l’or. On a dit de cet état social qu’on y trouvait le minimum de comfort avec le maximum de dépense. Ce n’est pas tout, fa force régnait seule sur les diggings. On se battait pour occuper les meilleurs terrains, et la mort d’un individu n’était considérée