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1851 ; au mois d’octobre de l’année suivante, ce n’étaient plus seulement les Australiens qui affluaient ; la nouvelle s’était répandue dans le monde entier. Les navires arrivaient par centaines à Melbourne chargés d’hommes et de marchandises. On voyait débarquer les immigrans au nombre de dix à vingt mille par mois. Ceux des anciens habitans de Melbourne qui étaient restés dans la ville n’étaient pour ainsi dire plus chez eux. Les nouveau-venus envahissaient tout, se regardant comme les maîtres du pays où ils formaient une immense et turbulente majorité.

On ne saurait trouver dans l’histoire du monde un semblable exemple de déplacement de population. Les Barbares envahissant l’empire romain, outre qu’ils appartenaient à d’autres temps, traitaient franchement en pays conquis la contrée où ils entraient. En Californie, les immigrans trouvèrent le pays à peu près vide devant eux. En Australie au contraire, il y avait déjà une population stable, établie sur le sol, qui prit la première part aux profits de la découverte, mais qui se vit noyée en moins de trois ans au milieu d’un essaim d’immigrans plus que double. Et qu’était cette nouvelle population ? On l’a définie en deux mots : populus virorum. Aussi devait-on s’attendre à tous les abus et à tous les excès.

Après la dépression momentanée des propriétés de tout genre que la désertion des villes avait occasionnée survint une hausse formidable aussitôt que les mineurs enrichis rentrèrent dans les grands centres de population pour y dépenser ce qu’ils venaient d’acquérir. Toutes choses prirent une valeur de fantaisie. Les objets de luxe, vendus à des hommes qui donnaient volontiers à pleines mains pour satisfaire le désir d’un moment, montaient à des sommes extravagantes. Les instincts brutaux, pressés de jouir, s’assouvissaient sans frein et sans vergogne. Une consommation excessive de liqueurs alcooliques, le brillant essaim des sirènes accourues au tintement de l’or de toutes les contrées du globe, de l’Europe et de l’Amérique, de la Chine et de l’Inde, de Java et de l’Afrique, toutes les couleurs et tous les vices ; ce qui serait en d’autres pays la fortune d’une famille consumé en un jour, comme cela avait été gagné ; le caprice d’un instant payé par le gain d’une journée heureuse ; l’opulence aujourd’hui, la misère demain, misère insouciante parce qu’il lui restait l’espoir d’une chance également favorable ; puis, à côté, les malheureux qui avaient trouvé la mine stérile, et réparaient à leur manière l’injustice du sort en assassinant sur la route, au moment du retour, le mineur lourdement chargé auquel ils dérobaient son épargne ; enfin surtout et partout la débauche de corps par les excès de tout genre, et la débauche d’esprit que produit l’incertitude poignante du chercheur d’or : voilà le spectacle